Google Website Translator Gadget

dimanche 1 avril 2012

Concombres et pancakes

Aujourd'hui c'est le premier avril, cela fait 6 mois jour pour jour que je suis parti et c'est le mois qui verra mon retour en France. La récréation est bientôt terminée, le compte à rebours enclenché. Je préférerais que ce soit un poisson d'avril mais ça n'en est pas un. Il faut que j'évite de penser à ça, après tout un mois c'est long et je compte bien l'utiliser en riches découvertes et le vivre à fond. Aujourd'hui j'ai eu une révélation. Je suis devenu partie prenante de la vie des rangers. Je monte dans leur van avec les sacs contenant la nourriture des singes, un sac rouge et un bleu, et je les suis partout dans leurs tribulations, comme un chien, en passant d'une plateforme à l'autre. Il y a des pancakes et des concombres et le groupe qui reçoit les pancakes du matin a droit aux concombres l'après midi et vice versa. Jonathan est intarissable sur les us et coutumes des singes. Il les connaît par cœur et leur a même attribué un nom à chacun. Il sait exactement combien ils sont. Je ne sais pas comment il fait car pour moi, passé le stade de la distinction mâle/femelle, ils sont tous pareils. Ainsi le bébé orange des petits gris s'appelle Valentino. Il est né le 16 février 2012. Cette petite merveille a poussé son premier cri alors que j’étais à Guam et j'ai l'impression que c'était hier. Je lui souhaite tout le bonheur du monde et une vie paisible dans sa jungle.
Je regardais Jonathan ouvrir le portillon d'accès à la première plateforme. Il a un boulot en or. En culotte courte toute l'année, il n'a pas l'air malheureux et passe son temps à imiter les cris des proboscis pour les attirer. Et ça marche. Quand ils l'entendent, la jungle s'anime en un bruissement de feuilles avec des trucs lourds qu'on entend passer d'un arbre à l'autre. Tout ce qu'il a à faire c'est de s'assurer du bien être de ses invités et de nettoyer les plateformes d'observation. Il est aidé dans cette tâche par d'autres rangers qui ne font que ça. Des dames pipi de singes. Il faudrait qu'ils pensent à leur réclamer une petite pièce pour le service rendu ! Car en plus ils chient et pissent partout. Quand ils font pipi ça fait comme pour nous, ça part en arc de cercle ! Je me vois bien en gardien de parc national. Moi qui me sens si bien dans les parcs nationaux. En plus ils sont à chaque fois dans les coins les plus beaux et les plus reculés de la civilisation et de ses emmerdes. Avec moi les animaux seraient bien traités. 
Tout ce que je demande c'est une petite cahute au fond des bois. Qu'est ce qu'il faut comme formation que je m'inscrive ? Pourquoi personne ne m'a rien dit sur cette voie lorsque j'étudiais la biologie à la fac ? Mais redescendons sur terre, les parcs nationaux, il n'en pousse pas tous les quatre matins et ceux qui existent sont déjà pourvus. Et puis je suis sûr qu'on n'a pas le choix dans l'affectation du parc. N'y aurait il pas quelques parcs nationaux en Bretagne par exemple ?
Maintenant que j'y suis, je peux le dire, je suis venu à Bornéo pour les singes ! Et de ce côté là je ne regrette pas. Les gros bides sont arrivés comme les autres jours, à l’appel de Jonathan. Il me tardait de les revoir. J'ai comme noué un contact avec eux, surtout les petits gris. Ceux qui viennent pour assister à un feeding unique n'auront jamais l'occasion de vivre l'expérience que j'ai eue. 
J'aimerais me lever tous les matins pour aller leur dire bonjour. Aujourd'hui ils étaient dans des positons les plus insensées, s'étirant, se laissant suspendre par un bras ou faisant la balançoire avec, prenant leur élan. De temps en temps ils se mettent également debout et sont capables de marcher comme cela. Ils font ça lors des feedings, pour s'éclipser les bras chargés de provisions qu'ils vont déguster tranquillement dans leur coin avant que d'autres ne leur piquent. Car ils en ont jamais assez et même si un individu est déjà occupé à manger, il va chercher à piquer dans l'assiette du voisin. Ils ne le font pas tous mais quand ça arrive ça provoque des scandales où ils deviennent hystériques, se calmant en se faisant séparer par d'autres.
Rémy de l'oncle Tan nous disait que les sanctuaires ne traitent pas les animaux comme il faut, leur donnant des trucs sucrés à manger. Car il paraît que les singes ont deux estomacs, le premier rempli de bactéries afin de pré-digérer les végétaux qu'ils avalent. Et si on leur donne du sucre, ça fermente et leur donne des gaz, provoquant des gros ventres. C'est vrai que les proboscis ont un gros bide mais je n'ai pas souvenir en avoir vu un seul le ventre plat ! Les macaques eux sont sveltes. Les petits gris aussi. Mais pas les orangs-outans. Ça doit plus être un trait génétique. Et puis s'ils mangeaient si mal que ça, ils ne se reproduiraient pas autant.


A l'issue du premier feeding, Jonathan m'a amené faire un tour de mangrove. Ils sont en train de construire une troisième plateforme qui mène jusqu'à la mer. Ils ont déjà fait des repérages et commencent à nourrir les singes. J'ai saisi une autre vocation des feedings. Ce n'est pas tant pour amuser les touristes mais plus un moyen de garder les singes à proximité et d'éviter qu'ils n'aillent ailleurs où leur habitat est menacé. Car ici, c'est une réserve et ils seront toujours tranquilles. Les rangers sont aussi occupés à planter des palétuviers pour agrandir la mangrove sur la mer, afin d’accroître le territoire des proboscis. Il fallait y penser, puisque ça se rétrécit derrière, le seul moyen c'est d'agrandir devant. Je suis content de voir qu'il y a des personnes qui ont compris que le principal ce n'est pas le profit, qui préfèrent préserver un héritage et le garder pour les générations futures, prenant des initiatives qui rachètent le reste de l'humanité. 
Ça fait chaud au cœur. Le ponton qui mène à la mer passe à travers un sous bois dense et très sauvage de palétuviers très hauts. Je n'en ai jamais vus de si grands, ils font des arbres qui forment une canopée. D'habitude les palétuviers sont plutôt arbustifs. Sans doute une espèce spéciale. Mais c'est bien des palétuviers, j'ai vu leur graine, si reconnaissable, qui est en fait un arbre en miniature qui ressemble à un haricot prêt à s'ancrer.
Nous nous sommes rendus ensuite à la plateforme B où les petits gris étaient absents. Ils avaient disparu dans la jungle, preuve qu'ils ne sont pas apprivoisés et qu'ils ne viennent que s'ils le veulent. Comme ils se déplacent en bande, soit ils viennent tous, soit ils ne viennent pas. A la place on a eu la visite d'un hornbill qui est passé en rase motte pour se poser en face de la maison. Jonathan a tôt fait de le faire venir. 
Il sait aussi imiter son cri et l’appâter avec ce qu'il faut. Il suffit de disposer des morceaux de cake sur la balustrade pour qu'il fonce d'un trait tout droit dessus. Ça n'a pas ses yeux dans la poche. Seulement il met un peu de temps à se décider, temps que les écureuils mettent à profit pour leur compte, passant en un éclair pour remporter la mise. Le hornbill tout penaud s'est demandé ce qui se passait. Pour le consoler, un ranger lui a jeté la nourriture qu'il s'est empressé de gober au vol, comme font les pélicans quand on leur jette un poisson. Ça valait bien la peine de faire une excursion sur la rivière Kinabatangan si on en voit autant ici et de bien plus près ! Je ne regrette pas pour autant, c'était une expérience différente.
Dans l'après midi j'ai revu les petits gris qui sont descendus des arbres, venant de plus loin dans la mangrove. 
Pour rejoindre la plateforme ils devaient traverser le territoire des proboscis qui n'aiment pas qu'on les dérange. Aussi les petits gris fonçaient ventre à terre en grognant pour se frayer un chemin pendant que les proboscis leur courrait après pour leur donner un gnon. C'est sûr qu'à côté un petit gris ne fait pas le poids. Toute la tribu est arrivée, la femelle avec Valentino aussi. Par contre ils ont la mémoire courte, ils ne m'ont pas reconnu. Peut être parce que j'avais un T-shirt. Ou alors parce qu’il y avait plus de monde autour d'eux qui voulaient tous s'approcher plus près pour voir Valentino. Quand les autres touristes s'en sont allés, j'ai essayé une approche, après m'avoir mis la mère dans la poche. Mais pas un mâle qui veillait sur elle et le petit, un teigneux qui grognait quand je dépassais la limite de sécurité dont lui seul savait où elle se situait. Du coup quand il grondait je m’arrêtais, pour recommencer un peu plus tard, au cas où il m'aurait davantage accepté dans son cercle. Il n'y avait pas moyen de l’amadouer. La comédie avait assez duré pour lui, il a donné une tape sur la cuisse de la femelle en guise de signal pour qu'elle s'éclipse avec le petit pendant qu'il avançait vers moi en grognant. J'ai compris qu'il valait mieux que je déguerpisse.
J'ai eu plus de chance avec un proboscis qui a pris la place libre sur la rambarde. 
C'est la première fois que j'en voyais un de si près. J'ai pu le toucher sans qu'il se recule. Je lui ai caressé les doigts de la main et ça a dû lui plaire car il ne bougeait plus. Un moment sa tête s'est affaissée. Comme ils sont toujours à regarder partout, j'ai cru qu'il avait vu quelques chose. Au bout d'un moment j'ai regardé dans la direction qu'il scrutait mais il n'y avait rien. En fait il s'était endormi assis, sa main dans la mienne ! J'ai pris une photo par dessous pour bien m'en assurer et il avait bien les yeux fermés. Encore une photo comique ! A ce sujet pour aujourd'hui j'ai 40 photos incontournables, bien trop pour ce post. Normalement selon la taille du message que j'écris, je peux en mettre autour de 15. Il faut donc que je me résigne à ne pas en publier certaines. Mais c'est chose impossible, elles reflètent toutes une émotion que j'ai ressentie lors de la prise de vue et que je voudrais faire partager. Cela fait deux jours que je bute. C'est dur !
Oui il dort!
Sinon, c'est décidé, les années de la quarantaine seront les années grands voyages. Peut être pas des tours du monde car je me rends compte que 7 mois c'est beaucoup et parfois j'ai l'impression de moins profiter, comme embarqué dans une routine, recherchant l'aventure pour l'aventure. Mais c'est juste une impression, je m'amuse toujours autant et ça ne me dit toujours rien de rentrer. Je ferai donc des voyages de l'ordre de 5 mois, ce qui m'évitera de poser un congé sabbatique. Un voyage tous les 3 ans. Voilà mon projet pour les dix prochaines années. Un truc à ne pas annoncer en entretien d'embauche à la fameuse question « comment vous voyez vous dans 10 ans ». Une question débile qu'on ne m'a jamais posée et à laquelle je ne saurais pas répondre. Je n'ai pas d'ambition particulière dans le travail, sinon celle d'avoir une occupation dans laquelle je ne m'ennuie pas et qui ma rapporte suffisamment pour voyager à ma guise, ou du moins essayer. 
On n'a jamais trop de sous. Mais dans mon cas ce n’est pas pour amasser des biens comme ce que tout le monde fait. Je ne cours pas après la promotion, synonyme de plus de responsabilités, plus de pression et de stress. Pourquoi devrait on toujours évoluer ? Les gens qui restent au même poste en France sont perçus comme des ratés. Mais si on est bien quelque part, pourquoi aller voir ailleurs et faire autre chose ?
J'ai un collègue qui avait réussi à pirater l'ordinateur des grands chefs il y a quelques années. Il avait mis le nez sur un fichier d'appréciations des collaborateurs, une ligne devant chaque nom avec des commentaires plus ou moins assassins. Je me souviens de ce qui était dit à mon égard mot pour mot : « N'a plus un haut potentiel. Prend des congés sans solde avec notre accord. Ses intérêts sont ailleurs». N'a plus un haut potentiel... 
J'ai les doigts qui puent!
Comme si j’étais un truc qu'on peut régler à l'aide d'un curseur qu'on mettrait sur la position « max » ! Et pour ce qui est d’intérêts ailleurs, j'ai en fait d'autres centres d’intérêts dans la vie que le boulot, et alors ? Ça ne m’empêche pas quand je suis au boulot d’être intéressé par ce que je fais, de travailler sérieusement et de chercher à être performant le plus possible. Ce n'est pas incompatible. Pourquoi n'avoir qu'un seul intérêt dans la vie ? J’ai juste choisi d'avoir une vie privée à coté que je compte bien remplir. Après tout dans une entreprise on n'est qu'un numéro interchangeable, utilisé tant qu'on en a besoin et remercié dès que ce ne sera plus le cas sans autre égard. Dans ces circonstances, autant chercher un équilibre ailleurs. Je ne ferai jamais parti de ces gens qui se suicident parce qu’ils ont des problèmes au travail ou se sont faits licenciés. La vie vaut tout de même mieux que cela ! 
Je veux que le jour où je serai sur un lit d’hôpital n'avoir aucun regret et penser en souriant à tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai vécu et aux émotions que j'ai éprouvées. Et encore une fois je ne ferai pas partie de ces gens qui se désespèrent et se rendent compte trop tard lors d'une grave maladie qu'ils sont passés à coté des choses essentielles de la vie. On devrait tous penser à cela, ça aide à relativiser et à remettre les choses à leur place, à déterminer ce qui est important pour nous et pour ceux qu'on aime. La vie est trop courte pour perdre son temps en futilités. Alors je préfère avoir un commentaire laconique et incompris en face de mon nom que de rentrer dans un moule. De toute façon ils n'ont pas ma taille !
Ce soir je n'arrivais pas à me déscotcher des mes nouveaux amis. Jonathan m'avait dit au revoir déjà depuis un moment. D'ordinaire il rentre au resort en même temps que moi mais cette fois il est parti de son côté, me laissant tout seul. 
Je suis resté faisant des au revoir idiots de la main aux singes, m'éloignant d'un pas et ayant le malheur de me retourner. Je regardais leurs petites têtes qui me fixaient. Des petites boules duveteuses qu'on voudrait protéger. Je sais que je ne les reverrai pas. J'en avais les larmes aux yeux. J'avais été oublié par les rangers, rangé avec les singes à force d’être avec ! Quand ils ont fait un dernier tour avant de fermer les portes, ils ont été surpris de me trouver encore là. C'était normalement fermé depuis 20 minutes. Comme on ne m'avait rien dit, je ne suis pas censé avoir un œil rivé à une montre. Avec les singes, on se comprend et on n'a pas d'heure ! Demain j'irai voir d'autres singes, des orangs-outans mais ce n'est pas la même chose. Labuk Bay restera une étape importante pour moi à Bornéo, mon meilleur souvenir.

Un cousin pas si éloigné...

1 commentaire:

  1. Ivan... tu as résumé ici toute l'hypocrisie du monde du travail! l'essentiel est que tu sois conscient de cette vérité... et tu as raison! il n'y a pas que le travail dans la vie. je pense exactement la même chose : quand on me pose la question en entretien 'quelles sont vos ambitions...' je déteste ça... j'ai envie d'envoyer ballader mon interlocuteur... mais bon... il faut juste se tenir et garder ses convictions ! le travail n'est rien d'autre qu'un moyen de financer sa vraie vie! celle du soir, des week-ends et des vacances avec ceux que l'on aime!!! :-)
    bises du clan B.

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...