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samedi 31 mars 2012

Adopté !


Avec mon escorte de rangers, j'ai un accès VIP. Je passe les billetteries comme je sauterais par dessus un tourniquet de métro pendant que les autres derrière moi doivent décliner identité, scribouiller sur un livre et mettre la main au portefeuille. Tout sera mis sur ma note d’hôtel. J'aime ça, avec mon carnet de notes dans une main, près à noter la moindre observation et l'appareil photo de l'autre, ça me donne un air de biologiste venu étudier les singes. L'idée me plaît ! C'est presque une organisation militaire, pas de place à la détente, nos amis nous attendent. A 9 heures pétantes il faut avoir quitter l’hôtel et Jonathan passe faire un tour pour me voir cinq minutes avant pour s'assurer que je serai à l'heure. Car je suis toujours un peu à la bourre, le service ici étant tropicalisé et très variable d'un individu à l'autre de sorte que j'ai un peu de mal à estimer la durée d'un repas. Le petit déjeuner inclus dans le prix de la chambre est très basique mais ça me suffit. Ça permet aussi de ne pas s'éterniser. Une tasse de café et 4 toasts de pain mie accompagnés de beurre et de marmelade d'orange.
Ce qui est bien c'est qu'au premier feeding du matin je suis tout seul. Les touristes ne commencent à arriver que pour le second et il n'y a jamais plus d'une vingtaine de personnes. 
Ça reste raisonnable. Je n'avais pas fait attention, mais dans la mangrove que l'on traverse il y a de gros cônes de boue avec un trou au milieu. Jonathan m'a appris que c'était des crabes qui ne sortaient que la nuit pour monter aux arbustes afin de manger les feuilles. Ils sont exclusivement végétariens. Moi qui croyais que tous les crabes étaient des espèces de charognards dégueulasses, ceux là me semblent plus sympathiques et ils se donnent beaucoup de mal à construire leur terrier inversé. Arrivé à la plateforme il y avait un petit comité d'accueil. Deux ou trois mâles proboscis assis sur la rambarde et faisant le pied de grue en regardant vers nous. Ils sont malins, ça n'a pas de montre mais ça connaît les horaires d'ouverture. Par terre il y avait aussi des petits écureuils bruns à la queue grise touffue qui passaient l'aspirateur, furetant dans les moindres recoins à la recherche de miettes laissées par les singes. 
Ils sont rigolos, ils avancent comme des voitures à friction, en flèche puis s’arrêtant net avant de repartir un peu plus loin. Dès qu'ils nous ont vu, les proboscis sont devenus agités, sautant partout. Leur jeu favori c'est de sauter sur le toit en tôle ondulé. On a l'impression que le ciel va nous tomber sur la tête. Progressivement les cimes se sont mises à bruisser, assistant à un ballet de bras qui sautent d'arbres en arbres, les hautes herbes se fendant sous leur passage comme le sillage derrière un gros bateau. Et tout ça dans le silence. Ils ne poussent pas de cris quand ils s'approchent. L'invasion commençait, la planète des singes était de retour !
Jonathan les appelle en imitant leur cri. C'est très curieux, au début j'ai même cru que quelqu'un avec une voix caverneuse parlait au loin. Ils font le même son que ces gens à qui on a retiré les cordes vocales et qui parlent par contraction du larynx à l'aide d'un micro qui ressemble à un rasoir électrique.
On va dire que je suis horrible mais c'est tout à fait ça ! Quand les gros mâles débarquent, les autres n'ont qu'à bien se tenir. Ils sont toujours en retard, faisant leur star. Monseigneur arrive en frappant le sol bruyamment de ses pattes avant afin que les autres effrayés s’écartent pour lui laisser le passage. Il avance ensuite fier comme un pou et s'il pouvait y avoir un tapis rouge il serait encore plus content ! Je ne me lasse pas de l'observation des singes, je comprends que certains y aient consacré leur vie pour les étudier. Il y a quelque chose de spécial que l'on ressent à leur contact. Comme s'ils avaient un peu de nous. Je n'ai pas vu le temps passer que déjà Jonathan m'extirpait de mes contemplations pour me signifier le changement de plateforme.
A la plateforme B, comme ce n'était pas encore tout à fait l'heure du feeding, Jonathan m'a invité à patienter dans la salle de projection où il a mis un DVD en route, « The Biggest Nose In Borneo ».
Tout un programme ! Pendant ce temps il m'avait promis de faire venir en nombre les petits gris d'hier. Le film est très bien fait, tout nous est montré à travers les tribulations d'un groupe de singes et tout ce qu'on voit est là. C'est un film introuvable dans le commerce, conçu exclusivement pour le sanctuaire en collaboration avec des chaînes de télévision américaines axées sur la nature. Pour un truc à petite échelle, ça n'a rien d'amateur et ça pourrait rivaliser avec ces films qui voient le jour de temps en temps sur grand écran et que je ne manque jamais d'aller voir. C'est très dépaysant et plein de fraîcheur et sur grand écran on a l'impression encore plus d'y être. Ils devraient en passer plus souvent mais ce genre de film est étiqueté en France comme film pour enfants. C'est débile. Comme si le fait de s'intéresser à la nature n'était qu'un trait de l'enfance. On voudrait nous le faire oublier, dans un monde adulte où la jungle devient urbaine. 
Je n'ai pas pu voir la fin du film, il y a eu une coupure de courant quelques minutes avant. Du coup je suis allé à la boutique qui le propose à la vente. C'est juste un DVD enregistrable customisé pour lui donner un aspect plus professionnel. Mais il n'y a pas de code barre, rien qui lui permette d’être commercialiser. A garder donc précieusement, ça fait un excellent souvenir de Sabah. Voici ce qui est écrit sur la jaquette : « This story follows the trials and tribulations of two male proboscis monkeys living in a mangrove forest in Sabah, Malaysia. Alistair, aka « Biggest Nose », the alpha male, with his harem of 22 wives attempts to hang on to his empire while Bill, the young upstart and leader of a band of bachelors, challenges him for his harem and kingdom. Rapid progress of land development by humans have drastically reduced their mangrove domain while a lengthy drought has subjected them to further hardship. Their struggle to survive the twin disasters, tested these monkeys like never before. The ordeal, captured in this film, provides an extraordinary insight into their lives, revealing their astonishing intelligence and uncanny ability to a continuously changing environment ».
En sortant de la salle de projection, j'ai rigolé devant le portrait de plein de petits gris assis sagement sur la rambarde qui me regardaient tous, tournés dans ma direction. 
Alors on fait son rot?
C'était comique. Jonathan les avait attirés à l'aide d'espèces de longs haricots de 50 centimètres de long qu'ils tenaient dans la main par poignée comme un bouquet de fleurs dont ils grignotaient les extrémités. Jonathan dit qu'ils puent et s'en écarte dès qu'ils passent. Moi au contraire j'essaye de m'approcher doucement de plus en plus pour ne pas les effrayer. Leur odeur, forte certes, est supportable. Ça sent la merde de poule. C'est bien mieux que l'odeur d'un clebs dont tout le monde s'entiche. Moi, ces singes là me plaisent bien et si je pouvais en ramener un je le ferais. Mais il serait malheureux hors de sa jungle, en plus ils vivent en tribu. Je ne me vois pas ramener un troupeau. Je me suis toujours senti plus proche des animaux végétariens, au moins ils ne font pas de mal aux autres animaux et sont plus doux.
Il y avait une femelle petit gris qui tenait sous le coude un adorable bébé, tout orange. Car quand ils sont jeunes ils ont cette couleur fauve qu'ils perdent ensuite après 6 mois pour devenir gris. C'était un beau bébé avec des yeux tout ronds et un air innocent, qui se prenait les pieds comme un bébé humain et avançait gauchement comme n'importe quel bébé qui apprend à marcher. La femelle ne voulait pas trop que je m'approche, tirant son rejeton sous le bras quand je m'approchais pour déguerpir quelques mètres plus loin. Quand ils se déplacent c'est trop marrant, on voit deux petites mains dépasser dans le dos, agrippées au pelage. 
Quand l'homme et l'animal se comprennent...
Les bébés sont transportés ainsi, sous le ventre. Les proboscis font d'ailleurs de même. Car des bébés, j’en ai vu plein aujourd'hui. Et ça me réjouit, c'est le signe qu'ils se plaisent bien et qu'ils ne sont pas en voie d'extinction... si on arrête de leur voler leur territoire. Pour le bébé proboscis, il est tout aussi gauche, tremblotant, avec un crâne noir au pelage ras qui lui donne l'impression de porter un casque. Contrairement aux adultes il a un petit nez. Il est rigolo mais pas si adorable que la version petit gris qui est renversante. On dirait un jouet de la taille d'un chaton.
J'ai remarqué par contre que les bébés s'échangeaient et passaient de bras en bras, les autres femelles certainement attendries voulant tenir dans leurs bras ces fragiles créatures qu'elles regardent tendrement, passant un doigt sur leur pelage. Elles ne font pas que du baby-sitting, elles les allaitent aussi, de sorte qu'on se demande qui est la mère. 
D'ailleurs le savent elles elles mêmes ? Pendant ce temps le bébé, qui n'a rien demandé à personne, crie, à moitié écartelé par une femelle qui le tient par le corps tandis qu'une autre essaye de l'arracher en lui tirant un bras ou la tête ! C'est dur d’être un bébé croquignolet ! Devant la contemplation des petits gris qui m'ont occulté de celle des proboscis, je n'ai pas vu le temps passer et Jonathan m'a encore une fois extirpé de là pour me ramener au Nipah Lodge où le déjeuner m'attendait. Midi déjà !
A peine le repas avalé qu'il était l'heure d'y retourner. C'est comme la pause déjeuner au boulot sauf que le boulot ici consiste à observer les singes ! C'est plus divertissant, plus réjouissant aussi d'y retourner. J'ai sauté dans le van climatisé, direction la plateforme A, ma préférée, celle dans la jungle. Cette fois il y avait plus de monde. J'ai enlevé le T-shirt, saisi mon calepin et que le spectacle commence ! 
Les gros nez étaient en train de se reposer dans les arbres pendant que les bébés se chamaillaient en se tirant la queue ou en s'envoyant des pieds à la figure pour désarçonner l'autre. Ils s'amusent aussi à se battre et à se mordiller. De temps en temps une femelle s'approche pour passer deux doigts dans leur pelage pour leur enlever la vermine mais ça ne dure jamais bien longtemps, les inspections ne donnant rien. J'ai essayé de prendre en photo les singes en train de se jeter d'un arbre à l'autre mais c'est impossible à saisir, même en mode rafale, les photos sont troubles car ils vont trop vite. Je vais tuer l'appareil photo. Je n’arrête pas de mitrailler, il en arrive de partout et chaque scène a un côté touchant. Et comme ils s'agitent tout le temps, bien souvent ils tournent la tête au moment où l'on prend la photo, de sorte qu'on reste le doigt crispé sur le déclencheur attendant le moment où ils regarderont à nouveau en face. 
Aujourd'hui j'ai fait 523 photos, 5 fois plus que la normale. Mon disque dur de l'ordinateur est saturé. J'ai dû me débarrasser de vidéos encombrantes. Une fois le tri effectué il m'en reste encore la moitié. C'est beaucoup. J'ai un disque dur externe pour les sauvegardes mais je n'ai pas envie de supprimer des photos de destinations passées sur l'ordinateur, on ne sait jamais ce qui peut arriver, je préfère les avoir en double sur deux appareils différents. Car avec le numérique, une perte est si vite arrivée. Je sais ce que je dis ça fait deux fois que j'écris ce post. Faites un saut deux jours plus tard et vous saurez pourquoi...
Comme ce matin, le temps file comme une flèche, un peu comme quand je plonge à la rencontre des petits poissons. Moi qui pensais que 10 feedings seraient peut être de trop, plus j'apprends à les connaître en les regardant et plus je suis fasciné. 
De retour sur la plateforme B les petits gris étaient toujours là. Ils ont dû me reconnaître car ils se sauvent moins quand je m'approche. J'ai trouvé la parade, en m'asseyant à leur niveau en tailleur sans bouger. Comme pour se faire obéir des enfant. Ainsi j'ai commencé à sentir des pelages me frôler en passant, jusqu'à ce qu'ils viennent tous autour de moi formant un cercle, tout en continuant à vaquer à leurs occupations comme si de rien n'était. Ça ne s'est pas fait tout de suite mais progressivement. J’étais adopté et la femelle avec le bébé orange s'est assise juste en face, desserrant les bras comme pour m'offrir son rejeton. Le bébé petit gris s'est mis à explorer autour de lui, godiche, dérapant de temps en temps mais la femelle gardait un œil sur lui et le remettait en selle à chaque faux pas. Je l'avais pour moi tout seul, si près que j'ai pu le toucher. Il ne disait rien et la mère non plus. Avec ses deux petites oreilles roses sur le côté, on dirait vraiment un bébé humain. En moins braillard ! Même l'appareil photo s'est laissé tromper. Alors que je prenais le bébé de face, j'ai vu un carré clignoter autour de son visage, pour me signifier l'activation du mode reconnaissance de visage ! C'est un mode qui permet de faire la mise au point sur un visage même si le sujet n'est pas au centre de la scène ou en mouvement. 
L'appareil photo est d'ailleurs devenu la coqueluche des petits gris. Ils n'avaient de cesse de jouer avec la dragonne de l'appareil photo, tirant dessus. Mais je tenais l'appareil photo fermement. J'ai aussi été obligé de nettoyer l'objectif à de nombreuse reprises, ils n’arrêtaient pas de mettre leurs petits doigts dessus, attrapant l'objectif de leurs mains et cherchant à le mordiller. Au bout d'un moment je leur ai donné l'appareil photo, gardant la dragonne et un doigt sur le déclencheur. Comme ils avaient l'objectif face à eux, ça promettait de donner de jolis gros plans à faire rigoler un tyran. L'un d'entre eux est venu me grimper dessus pour jouer. J’étais devenu la coqueluche du groupe, leur grand frère qu'ils aimaient embêter. J'en avais un perché sur la tête, je l'entendais mâchouiller je ne sais quoi, mes cheveux je suppose. J'étais aux anges et je suis devenu l'attraction des autres touristes qui me prenaient en photo, transformé en porte singes. 
J'en avais d'autres qui s'asseyaient sur un avant bras, en équilibre. Je les caressais au passage, leur prenant un pied ou une main qu'ils resserraient sur mes doigts. Ils ont la peau des mains toute douce. Je pensais qu'elle serait rêche et pleine de cors, au lieu de ça on dirait de la soie ! Je leur laissais faire tout ce qu'ils voulaient ou presque. Car ils avaient tendance à être fascinés par mes tétons qu'ils essayaient de choper avec leurs doigts quand ce n'était pas carrément pour sauter vers eux, les dents devant ! Ça devait leur rappeler les petits lolos de leurs mamans ! J'ai mis de côté le fait qu'ils pouvaient avoir des vermines à me refiler ou des virus. Une occasion comme cela est unique et si je dois tomber malade à cause des petits gris eh bien tant pis. J'aurais bien ri en échange !
Inutile de dire qu'en de telles circonstances les proboscis n'existaient plus. Ça me faisait un peu de peine pour Jonathan qui s'en occupe si bien et me regardait faire avec les petits gris.
17 heures a fini par arriver, l'heure de rentrer au Nipah Lodge. J'ai laissé les singes là, pressé de les retrouver dès demain. Après 8 heures à les contempler – une journée de boulot – je suis devenu fada des singes. Il y a un panneau à l'entrée de la plateforme B avec une peinture de proboscis où est inscrite la mention « They deserve to have long and healthy life ».
 C'est tout ce que je leur souhaite. Quand je vais partir ils vont me manquer. Je voudrais presque avoir de leurs nouvelles. Mais je sais qu'ils sont heureux ici et bien traités, ça fait plaisir à voir. Jonathan m'avait proposé hier soir une balade nocturne dans la jungle à la rencontre de sapins de Noël. J'avais décliné en raison de l'orage mais pour ce soir j'ai dit que j'étais intéressé. Après le dîner nous sommes donc retournés à l'entrée de la plateforme A, sur le ponton d'accès dans la mangrove. Comme promis les sapins de Noël étaient là. Tous les arbustes des alentours étaient couverts de ces « fireflies » dont j'ai appris que leur scintillement est un appel au sexe ! C’est le mâle qui éclaire pour signifier qu'il est là. Car la nuit tous les chats sont gris, on aurait tôt fait de les ignorer. Jonathan braquait sa torche contre lui, en petits et rapides mouvements pour former des éclairs qui les excitaient davantage. 
J'ai réussi à prendre une photo en mode manuel, choisissant une exposition de 30 secondes mais la photo n'est pas extraordinaire et très pixelisée. On a aussi cherché à voir des crabes en train de brouter mais ils ne devaient pas encore être sortis. Il faut dire qu'il n'était que 19 heures. On était de sortie tôt car Jonathan était invité à un mariage dont on entendait déjà les flonflons d'un orchestre. Car ici la tradition est que chaque mariage a son orchestre privé. Il m'a proposé de l'accompagner mais j'ai décliné l'invitation. Cela aurait pu être une riche expérience, mais je lui ai dit la vérité, que je préférais me lever tôt demain, frais pour être disponible pour une nouvelle journée de contemplation des singes dont je ne me lasse pas. Il a très bien compris. Le truc aussi est que je ne me voyais pas rester là bas des heures, tributaire d'un transport pour rentrer, dans une fête qui était sans doute partie pour durer toute la nuit. J'ai préféré aller me coucher, c'était plus sage et quand j'ai fermé les yeux j'ai vu plein de singes s'agiter devant mes yeux. Je les ai tellement regardé que ma rétine en a conservé l'image !

vendredi 30 mars 2012

De la rivière Kinabatangan à Labuk Bay


La planète des singes!
Comme hier, la sortie du matin a démarré dès 6h30 pour un tour sur la rivière avec le groupe arrivé la veille. Curieusement cette fois ils nous avaient tous entassés dans la même barque, peu stable pour le coup et avec une prédilection à pencher dangereusement sur les côtés à chaque virage. Alertés par des hornbill que les autres n'avaient pas encore vus, on s’est approché un peu plus du rivage, et là, surprise, qu'est ce qu'on voit en haut d'un arbre ? Un gros orang-outan le cul posé sur son nid construit entre deux branches. J'espère que c'est un as de la construction car avec son poids il aurait tôt fait de passer à travers comme dans une chaise percée. L'orang-outan est un singe qui ne dort pas assis sur une branche comme les macaques, il lui faut un lit. C'est sensible à son confort. En fait c'est parce qu'ils n'ont pas de queue. Rien ne peut donc les rattraper s'ils venaient à faire une mauvaise chute pendant leur sommeil. Le gros père de ce matin n’est pas bien réveillé, il est là à contempler l'horizon comme s'il se demandait si ça valait le coup de descendre du lit. Ne t'inquiète pas, personne ne t'attend, tu n'as pas un boulot où pointer et de comptes à rendre, tu fais comme tu le sens et tu as bien raison ! Keep cool ! Certains ont demandé si les orangs-outans savaient nager. Comme pour l'histoire du nid, c'est la faute à la queue dont il sont privés. 
Orang-outan dans son lit
Apparemment seuls les singes qui ont une queue savent nager, cela leur permet de faire gouvernail. Sinon j'ai bien la confirmation, le terme orang-outan est bien malaisien et signifie mot pour mot « man of the forest ». D'où le panneau « 6 orang » à Poring Hot Springs. On en apprend chaque jour, c'est ça qui est bien au contact des animaux. Je vais revenir plus riche qu'en partant, enfin, côté connaissances. Car pour le reste, j'ai déjà dépassé mon budget... C'est pas bien grave, je suis toujours vivant !
Un peu plus loin, alors qu'on continuait à descendre la rivière on a aperçu un gibbon. Une nouvelle espèce de singe à ajouter à mon tableau de chasse. Ça fait la quatrième : orang-outan, macaque, proboscis et gibbon. Bornéo compte 10 espèces, je compte bien en voir le maximum et pourquoi pas, toutes. Par contre vous ne verrez pas à quoi ça ressemble et moi non plus. La faute à des branches trop garnies et mal placées qui lui cachaient le visage. 
Tout ce que je peux dire c'est que ça de grandes pattes potelées, un pelage qui a l'air assez ras et de couleur gris souris. Ça fait maigre comme portrait robot ! En tout cas ça suffisait à nous émouvoir et à tirer des « oh » et des « waw » des anglaises dont on a écopé lors de la dernière cargaison.
A la fin de la croisière, il était temps de faire les bagages et de prendre un petit déjeuner avant de quitter l'aventure. J'ai laissé le camp, les animaux et le personnel à ses occupations. Eux restent là et ça doit leur être un peu difficile de voir des gens passer tous les jours. Ils n'ont pas vraiment l'occasion de tisser des liens. C'est pour ça qu'il ont un peu tendance à rester entre eux et à rigoler ensemble, à part Rémy qui vient nous tenir compagnie parfois. Mais on sent que c'est lui le chef, il est un peu fier. Une fois arrivé au QG de l'oncle Tan, je me suis assis pour prendre le déjeuner à une autre table que l'américain car j'avais des mails à lire et à envoyer, ne sachant pas si je pourrais disposer d'une connexion internet dans les jours qui suivent.
Il l'a peut être mal pris car il est parti sans me dire au revoir, après avoir avalé son repas en 5 minutes, pressé de rejoindre à pied avec son sac à dos la jonction du bus pour Kota Kinabalu. Il a dû croire que je lui faisais la gueule alors que pas du tout, la seule chose que je lui reprochais c'était son accent qui me laissait muet. C'est pas ça qui va arranger l'estime des français mais je m'en moque. Pour moi l'aventure continue. Je ne vais pas bien loin, à une vingtaine de kilomètres, et je ne me fais pas chier, un taxi vient me prendre.
Quand je suis arrivé au portail d'accueil de Labuk Bay, le taxi n'a eu qu'à annoncer que je dormais ce soir au Nipah Lodge. Ils ont demandé si je voulais assister au prochain feeding, à 14h30, dans quelques minutes. Ce n'était pas prévu au programme mais vu que la vie sauvage m'appelle, je ne peux que répondre à l'invitation ! 
De plus cela me permettra de passer le temps. Par contre cela me fera assister à 10 feedings, ça fait un peu beaucoup et ça risque de devenir répétitif. A Labuk Bay, il y a 4 feedings par jour car l'endroit dispose de deux plateformes espacées de quelques kilomètres. Au début j’avais un peu peur de ce que j'allais voir, car avant d'y parvenir il faut traverser des champs de palmier à huile. C'est moins moche que je l'aurais crû, les troncs étant envahis de fougères et de lianes, preuve qu'on est bien dans une jungle, ou du moins qu'on y était. Mais pour moi le palmier à huile reste le symbole d'un scandale, la destruction d'un habitat merveilleux. Pensez y la prochaine fois que vous consommerez ces cochonneries industrielles avec marqué au dos « huile végétale ». Sachez que la mention veut dire « huile de palme ». Il est quasi impossible d'y échapper (même dans les rayons bio), c'est comme la publicité. La seule option est de tout cuisiner soi même. C'est un peu en train de changer, les gens étant un peu plus sensibilisés en raison des reportages qui ont été diffusés à la télé ces dernières années. Certaines marques sentant le vent tourner en font un argument marketing en affichant sur les paquets « sans huile de palme », oubliant que c'est par leur faute si on en est arrivé là. Car il y a quelques dizaines d'années, je me souviens que tout était encore à l'huile de tournesol ou de colza. Ce n'est pas pour quelques centimes de plus... 
Que feront ils le jour où leurs palmiers à huile ne vaudra plus un clou ? C'est une autre histoire. Pas sûr qu'ils déracinent tout pour replanter des arbres de la jungle s'il n'y a pas d’intérêt financier derrière. Ce sera sans doute l’œuvre d'associations. Le jour où ça arrive, je m'engagerai comme volontaire pour replanter les arbres à Bornéo. Je le promets. Mais pour l'heure, la déforestation continue et le territoire des singes diminue comme peau de chagrin un peu plus chaque année...
J'ai été accueilli devant le premier site par Jonathan, un jeune ranger sympathique. Pour rejoindre la plateforme A, il faut prendre un petit ponton de bois qui passe au dessus de marécages. De la mangrove en réalité car la réserve est toute près de la mer. Les singes sont venus trouver refuge ici, dernier bastion resté sauvage car impropre à la culture des palmiers en raison des inondations. 
Je pensais trouver un truc du style un peu zoo mais pas du tout. Il y a un genre de chapiteau en dur dressé au milieu de grands arbres pour permettre l'observation des animaux. La nourriture est disposée quant à elle sur des estrades à part, plus proches de la forêt. Tout est ouvert, les singes sont libres de venir ou de rester à l'écart. Ils ne sont pas contraints. Ça n'a donc rien d'un zoo. Le feeding est juste un moyen de les voir de plus près.
Et pour ce qui est de les voir de plus près je suis servi ! Les mâles sont les plus gros et ont le plus gros nez. Ce sont de gros bestiaux qui peuvent peser 25 kilos. Ils sont très musclés et ont une fourrure plus épaisse que les femelles, plus colorée aussi, leur donnant l'impression d'avoir un gilet sans manche sur le dos et une écharpe en fourrure d'hermine autour du coup. Ça leur donne un air royal ! 
Le pacha
Les mâles sont répartis en deux groupes, il y a le mâle alpha, dominant, qui se tape toutes les femelles. Il vit avec un harem de 20 femelles qu'il passe son temps à satisfaire, principalement après les feedings. Le ventre bien rempli ça le rend d'humeur coquine. Les autres mâles en sont réduits à l'abstinence, passant leur temps à se masturber à la vue de tous. Il n'y a pas de quoi s'en offusquer, c'est la nature ! Sinon, un singe proboscis ça vit 25 ans. Ça lui fait une longue petite vie !
Il y avait un couple d'américains arnaché avec du matériel de pro, des téléobjectifs énormes de la taille d'un bazooka qu'ils étaient obligés de dissimuler par du tissu camouflage tout autour afin de ne pas effrayer les bestioles. Ils n’arrêtaient de mitrailler avec leur déclics agaçant et bruyants. On comprenait du temps des appareils photos traditionnels, avec l'ère du numérique, le bruit de l'obturateur peut être débrayé. 
Ils l'ont gardé pour les puristes, pour faire ambiance. Mais ça fait un vacarme qui ne fait pas très nature. J'avais bien envie de leur demander de le mettre en sourdine. C’est ce que j'ai fait avec mon compact dès la première utilisation. Il faisait très chaud et en plein soleil la femme du couple n'en pouvait plus de tenir ce caillou à bout de bras, s'essuyant le front en soufflant, cramoisie, attendant le bon angle, la pose pose, la bonne mimique. Car il y en a tellement qu'on ne sait plus où donner de la tête. Et ils remuent tout le temps, de sorte qu'on est obligé de mitrailler. C'est comme un jeu vidéo qui consisterait à en viser le plus grand nombre. Il y en a dans les arbres, d'autres qui se balancent, certains qui s'épouillent ou allaitent. C'est une vrai société et on assiste à leur vie sans restriction.
A un moment, alors qu'un de ces singes s'était laissé approcher, l'américain s’est proposé de me prendre en photo avec mon appareil. 
Je lui ai indiqué les réglages et la position du zoom pour qu'il joue avec à sa guise. Il me l'a rendu dégoûté, étonné qu'un si petit appareil soit si performant, regrettant à moitié son attirail de guerre encombrant, lourd et coûteux. Eh oui, il y a des situations, quand les créatures ne sont pas trop loin, où mon compact fait des merveilles. C'est pour ça que je l'ai choisi. Avec son zoom 16 fois, il n'a rien à envier aux téléobjectifs de reflex grand public qui ont une amplitude moins grande à un tarif qui vaut deux fois le prix de mon appareil. Pour un tour du monde et un usage polyvalent c'est l'idéal même s'il a des limites exposées déjà dans d'autres messages.
Le feeding à la plateforme B débute à 16h30. L'observation se fait depuis la terrasse située à l'étage d'une bâtisse qui dispose d'une salle de projection d'un petit film sur les proboscis que j'ai remis à demain et d'une boutique qui vend souvenirs et boissons fraîches. Le site est moins bien que l'autre car moins dans la forêt. Il est plutôt dans une clairière. Par contre il a le mérite d'attirer une autre espèce de single, Silver Leaf quelque chose, que j'ai surnommée les petits gris pour faire court. Ils sont rigolos, on dirait des peluches à la fourrure vif argent. Ils ont une houppette sur le crâne plus claire qui leur donne un air de Gremlins. A mon avis les créateurs du film ont dû s'en inspirer. 
Par contre je n'en ai vu qu'un seul, moins timide que les proboscis se baladant dans la bâtisse, sur les balustrades et le toit. J'ai pu l'approcher de près. Il m'a plus diverti que les autres singes, un comble pour un site d'observation des proboscis.
Le resort que j'ai trouvé est un délice, mais ça, je le savais déjà. J'avais lu un article d'un français qui s'y était rendu avant moi et qui disait que c'était son meilleur souvenir à Bornéo. Il avait mis des photos à disposition pour illustrer et tout le monde lui laissait des messages pour en savoir plus, déclenchant des envies compulsives de se rendre à Bornéo. Il faut dire que les photos parlaient d'elles mêmes et en plus il précisait que dans le resort il avait été tout seul dans un grand dortoir, les gens venant là dans le cadre d'excursions à la journée uniquement. Le resort, Nipah Lodge, est situé dans la plantation de palmiers à huile, au bord d'une mangrove, à trois kilomètres des sites d'observation des proboscis. 
Avec ça, mon blog va être interdit aux moins de 18 ans!
Il n'y a personne autour. J’avais vu une brochure fort appétissante sur la plateforme B avec des photos des chalets. Ce sont des bungalows nichés dans la mangrove, tout en teck, avec la jungle tout autour. J'avais bien envie de troquer la réservation de mon dortoir, sûrement coincé contre la cuisine du restaurant, contre quelque chose de plus reposant qui aille mieux avec le décor. Aussi, quand je suis arrivé à la réception, j'ai tout de suite mentionné que j'allais peut être prendre un chalet, leur demandant qu'ils m'en fassent visiter un. Il faut marcher un peu, passant par un pont au dessus d'un chenal de la mangrove où un bateau est amarré puis prendre des pontons de bois courant parmi les palétuviers. Le chalet est sur pilotis avec l'eau en dessous et les palétuviers qui viennent lécher le toit et la terrasse. A l'intérieur il y a un grand lit aux draps blancs épais et accueillants dans lesquels je me suis tout de suite vu. J'ai eu un coup de cœur pour cette petite hutte grand confort dans la jungle. C'est ce qui me fallait.
Par acquis de conscience j'ai demandé à visiter le dortoir, laissant mes bagages sur la terrasse, sûr que j'allais choisir le chalet. Seulement, le dortoir est dans le même coin, aussi isolé, sur un ponton parallèle à celui qui mène aux chalets, juste derrière celui que j'ai visité. Et comme ce que le type disait sur internet, il n'y a personne. Il y a 10 dortoirs de 10 lits chacun et tous vides. Le tout pour 7 euros, 6 fois moins cher que le chalet. Ça fait réfléchir. Tellement que j'ai choisi le dortoir. Les chalets n'allaient rien m'apporter de plus sinon plus de confort et une climatisation dont je me fiche pas mal. Par contre ça la foutait un peu mal avec le personnel du resort qui devait déjà voir les dollars devant leurs yeux quand je leur avais mentionné le chalet. Avec le peu de clients qu'ils ont, ils ont sûrement besoin de plus de sous que ce que je vais leur laisser. Ils ne vont pas aller bien loin avec 7 euros ! Pendant le repas j'ai pris une brochure sur le Nipah Lodge. Voilà ce qu'ils en disent : «Surrounded by nature with mangrove paths, Nipah Resort is a retreat place to get away from busy lodges, resorts and city ». Tout est vrai, y compris le résumé, très bien trouvé : « Best kept secret in Borneo ». Qu'il le reste encore longtemps ! Je me réjouis d'avoir eu la chance d’être tombé sur le bon blog quand j'ai commencé à élaborer mon tour du monde. C'est grâce à lui que je suis à Bornéo. Et je ne regrette pas. C'est une petite merveille de tranquillité et je suis comme un pacha là dedans !

jeudi 29 mars 2012

La rivière Kinabatangan


Ce matin je me suis réveillé avant le lever du jour, excité par une nouvelle journée pleine de trouvailles. Dans le ciel c'était Noël. Des sapins qui scintillaient de toute part. Ce sont des « fireflies », des espèces de mouches phosphorescentes qui émettent un halo verdâtre en clignotant, comme les feux de signalisation des avions. J'ai essayé d'en prendre en photo en choisissant le mode pose longue mais ça ne donnait rien. Tout ce que j'obtiens ce sont des taches plus ou moins vertes avec un truc flou au milieu. Occupé par ça, je n'ai pas vu le temps passer et quand je suis arrivé à la terrasse où l'on prend ses repas, il était déjà 6h30 et l'heure de la première activité de la journée : une balade sur la rivière Kinabatangan, en principe très animée par les bestioles qui viennent faire leur toilette le matin. J'ai juste eu le temps de prendre un thé que j'ai amené à bord. Ils nous ont réparti en deux groupes, un sur chaque bateau. 
J'étais dans le deuxième, celui qui suivait l'autre. Ce n'était pas le bon numéro. Le premier bateau avait la primeur de la découverte des bestioles. Quand on les voyait tournicoter et stopper, notre bateau s'approchait mais le temps qu'on arrive en général les bêtes s'étaient déjà échappées, fatiguées qu'on leur tire le portrait. C'était rageant. Mais après tout, ce matin c'était très calme. Sans doute parce qu'il a plu toute la nuit et que tout est trempé partout. Les animaux n'ont peut être pas envie de se lever. Tout ce qu'on a réussi à voir ce sont des macaques et des hornbills. Les macaques sont de sortie en permanence, ils les surnomment ici « jungle mafia » par leur propension à toujours fourrer leur nez partout.
La dernière demie heure d'exploration on n'a rien croisé, ce n’est pas faute d'avoir cherché à scruter les moindres recoins. 
J'avais les yeux qui se fermaient tout seuls et je devais me donner des gifles pour éviter de m'endormir. Je ne suis pas venu si loin pour dormir sur une rivière au milieu de la jungle ! Et puis ce qui est excitant dans une exploration, c'est plus la recherche que la trouvaille en elle même. Alors ça ne m'a empêché d’apprécier cette croisière au petit jour avec des nappes de brumes à la surface de l'eau. Rémy s’est excusé de ces minces prises mais ce n'est pas sa faute si les bestioles boudent ce matin ! Et puis on a une séance de rattrapage demain matin, avec le nouveau groupe qui est attendu ce soir, 6 personnes. Alors, il y a de l'espoir.
De retour au camp, alors que tout le monde était parti prendre le petit déjeuner, je suis allé explorer autour des pontons au dessus de l'eau pour tenter d'apercevoir des bêtes puisque c’est le matin qu'on a le plus de chance d'en apercevoir. 
Je n'ai pas tardé d'en trouver un, un oiseau tout rouge. Mais la photo est toute floue. Aussi vous ne verrez rien. Il est des situations où le reflex est incontournable, principalement pour la prise de vue des animaux dans les branches. Avec un compact le focus se fait le plus souvent sur des branches ou des feuilles, quand ce n'est pas l'arrière plan même si une énorme bête est en plein milieu du cadre. C'en est exaspérant. Sans compter qu'avec le zoom à fond, on perd en luminosité, rendant le moindre mouvement flou, que ce soit le sien ou celui de l'animal. Je suis allé me consoler au bout du ponton, vers la dernière case. Il y avait plein de papillons et de libellules de toutes les couleurs qui se posaient sur des brindilles émergeant de la flotte. Je m''en suis donné à cœur joie. Il y avait une libellule avec des fioritures, des espèces d'ailerettes sous ses ailes, rayées jaune et noir comme une abeille. D'autres ont les ailes complètement colorées et non transparentes, comme un picture disc ! Toutes les fantaisies sont permises.
Quand j'ai rejoint les autres pour le petit déjeuner, ils avaient tous terminé et s’en allaient pour les ablutions matinales. Pour les toilettes, il y a une chiotte mais sans eau. Quand on a fini son affaire, il faut verser un seau d'eau pour l'évacuation qui va on ne sait où... Mieux vaut avoir pensé à remplir le seau avant de rentrer, la réserve étant dehors. Il faut la puiser dans une barrique alimentée par la rivière. La couleur est peu engageante. C'est la même eau qui sert pour la douche. Il n'y a aucune intimité, il faut se foutre à poil dans la jungle avec le risque que quelqu'un passe. Pour l'eau, il faut attendre un peu, après deux heures les particules en suspension dans la barrique redescendent au fond, laissant une eau plus ou moins limpide. Mieux vaut donc prévoir son coup à l'avance ! Et penser à fermer la bouche en s'aspergeant au baquet si on ne veut pas chopper des amibes ou autres délicieuses surprises.
A 10h30, nouvelle sortie : jungle trekking. Cette fois le site ne se passe pas autour du campement contrairement au trek de hier soir. Il faut prendre la barque pour une courte croisière d'une quinzaine de minutes en remontant la rivière, puis prendre un bras plus étroit et bien plus joli. La végétation y est plus dense, les arbres venant à pousser jusque dans l'eau. Il faisait une chaleur écrasante, rendant chaque pas un exploit. Il ne faut pas espérer rencontrer d'éléphants par ici, la dernière fois qu'ils en ont vus ça remonte à un an et demi. Il faut se contenter d'insectes et d'oiseaux. Pour ce qui est des crocodiles c'est pareil, il paraît que le niveau de l'eau est trop élevé pour qu'on puisse les apercevoir. Je ne vois pas trop le rapport. A un moment Rémy a cru entendre le grognement d'un cochon sauvage. Branle bas de combat, nous voilà à piétiner dans la boue et à suivre des directions sans sentier, en passant entre des lianes et des branches qu'il faut écarter tout le temps en prenant soin de ne pas s'égratigner la tête au passage. 
On pourra dire que j'ai fait le Vietnam ! La balade m'aura valu un bel accroc à l'épaule de mon joli T-shirt bleu, sans réussir à voir ledit cochon, de toute façon sans doute identique à un vulgaire cochon de ferme, le pelage peut être plus épais – il n'y a pas de mal. Je vais rentrer en charpie et à la douane à Paris je suis sûr qu'ils ne vont pas me laisser passer et examiner tous mes bagages.
A chaque repas c'est l'invasion des mouches. Il y en a partout, ça en pleut comme des cordes, dans les verres, les assiettes, sur la peau, rien ne les arrête. Ou plutôt si : le DEET. Un spray anti-moustique chimique et toxique mais le seul vraiment efficace. Après mes expériences naturelles à Maupiti qui ne donnaient aucune résultat, je suis passé aux choses sérieuses, d'autant plus que je ne prends pas mes médicaments anti-malaria. D'ailleurs personne sur le camp n'en prend. Ils en ont tous mais préfèrent faire attention, leur prophylaxie étant à base d'une molécule qui rend fou. C'est véridique. Pour mon traitement ce n'est pas tellement mieux, il est photosensibilisant, ce qui est guère commode en pays tropical. Ils auraient pu y réfléchir deux secondes avant de mettre cette saloperie sur la marché, non ? Pour la nourriture, les mets sont présentés sous des cloches moustiquaires en plastique. 
Tout le monde se demande d'où viennent ces mouches qu'on ne voit plus dès que le soir approche. Ce n'est pas très étonnant, le camp dispose de poubelles de recyclage fermées mais la poubelle à données périssables est curieusement la seule à ne pas avoir de couvercle. Il ne faut alors pas s'étonner de l'invasion.
L'après midi il n'y a pas d'activité proposée. C'est l'heure où la faune roupille pour économiser ses forces, la température étant trop élevée. Car il fait très chaud dans la jungle. Il n'y a pas d'air, c'est comme si l'on était sous serre. Il y a bien une activité optionnelle pour ceux qui s'ennuient vraiment, à savoir une partie de pêche. Mais la pêche ça n'a jamais été vraiment mon truc et la perspective de rester sur une barcasse en plein cagnard n'a rien de bien réjouissant. J'ai préféré opter pour le hamac en bordure de rivière, à l'ombre, à écouter de la musique en chantant. 
Et ça m'a bien reposé, avant d'attaquer une douche à laquelle j'essaye d'échapper depuis hier. Mais avec la température qu'il fait, je me sens complètement poisseux et les cheveux comme un plat de nouilles sur la tête. J'ai besoin de fraîcheur et il y a un moment où l'on se baignerait dans n'importe quoi, comme les rhinocéros dans les marres de boue. J'ai donc étrenné la toilette à poil au baquet comme dans les temps antédiluviens !
A 17h00, comme il faut bien divertir un peu la galerie, une sortie est organisée, à nouveau sur la rivière et dans la même direction que pour le trek dans la jungle de ce matin. En principe c'est l'heure des singes qui viennent aussi batifoler près de l'eau avant d'aller se coucher. Ça a commencé par les sempiternels macaques, hornbills et autres martins pécheurs dont on ne fait plus trop attention dépassé le stade de la première heure d'aventure sur la rivière. 
Macaque
Alors que je pensais que ça allait encore être une sortie inutile question faune, me contentant de contempler le spectacle de la rivière au coucher du soleil – qui vaut largement le détour – des singes proboscis sont apparus dans les arbres. Quelle chance ! Le singe proboscis est endémique à Bornéo et ne se rencontre que là. Il est affublé d'un appendice nasal impressionnant qui lui donne un air un peu ballot. Son nez a l'air en mousse, il bouge comme du flanbi chaque fois qu'il fait un mouvement. Ça doit le gêner ! Si vous ne voyez pas à quoi ça ressemble, vous pouvez chercher dans Google en tapant proboscis, vous verrez. Dans les premiers résultats d'image il y a un photomontage avec le portrait de Depardieu. Ce n'est pas flatteur pour lui mais assez ressemblant. Il est le chaînon manquant entre le proboscis et l'homme ! Par contre notre observation a été rapidement écourtée car le ciel est soudainement devenu tout noir avec les éclairs qui flashaient tout autour de nous. 
Proboscis
Nous étions encore préservés, miraculeusement, la rivière formant un corridor qui trouait les nuages ; mais pour combien de temps encore... Le capitaine a préféré rentrer par sécurité, la pluie n'étant pas un problème mais la foudre si ! On est rentré au poncho, les éclairs zébrant le ciel comme ces tempêtes que l'on voit en plein ciel dans les films. Je n'osais penser au fait que nous étions seuls sur une pauvre embarcation de bois au milieu d'une rivière cernée par la jungle et soumise à des éléments en furie, comme un drapeau indiquant à la foudre où frapper !
Avant le dîner c'est l'heure où le camp s'anime. Le personnel entame une partie de foot sur un terrain improvisé et moitié boueux, demandant aux gens de les rejoigne. Ça y est, les 6 sont arrivés, nous demandant comment c'est et s'il fait beau la journée. Car ils sont un peu inquiets avec ce qui tombe. 
Ça se gâte!
On leur a passé sous silence le fait que question bestioles ce n'est pas tant l'extase que cela. Ils se feront leur propre opinion ! De plus je pense que ça dépend des jours, on dira qu'on n'a juste pas eu trop de chance jusqu'à présent, à part avec les proboscis ce soir. Je dois d'ailleurs aller les voir de plus près dès demain, dans un sanctuaire qui leur est réservé. Ici c'est un peu un aperçu avant d'avoir ensuite un zoom plus précis. Après le foot, le personnel, au nombre de 13, prend deux guitares et pousse la chansonnette à tue tête, faux et en frappant sur les tables pour le rythme. On ne s'entend plus et j'ai carrément décroché des conversations. Je suis à table le nez dans l'assiette regardant la jungle autour de moi comme un autiste. Courage, c'est le dernier soir ! Au passage, je ne sais pas pourquoi ils sont autant, 13 ça fait un peu beaucoup pour huit convives, non ? La moyenne d'âge doit en plus être inférieure à 20 ans. Peut être qu'il sont plus heureux dans la jungle entre eux, ça leur fait comme un camp de scouts...
A 21 heures, nouvelle balade sur la rivière. Décidément je commence à la connaître. Cette fois c'est pour découvrir des bestioles assoupies, moins farouches. On a profité d'une accalmie pour prendre le large. On n'a pas tardé à trouver des macaques assoupis qui dormaient le cul posé dans une fourche, deux par deux, en se faisant face et se prenant dans les bras. C'était trop mignon de les voir enlacés comme ça à se tenir chaud. Ils ont la bonne méthode, ça les équilibre et ainsi ils n'ont que le dos exposé à la pluie. J'ai bien aimé cette sortie, mystérieuse, navigant sur une barque dans une nuit noire transpercée par des éclairs aveuglants, la pluie sur nous, avançant à la lumière d'une torche braquée par l'un des guides sur les cimes des arbres à l’avant du navire. C'était l'aventure ! En dérivant, les scènes éclairées retournaient dans l'obscurité et les singes redevenaient invisibles, parés pour passer une nuit entière ainsi. Ils ont bien du mérite, ces petites choses à dormir dans une jungle qui nous est inhospitalière sous les intempéries. Plus loin on a croisé sous un bosquet un chat sauvage « leopard cat », adorable avec se robe blanche aux petits ronds dorés. Pour un peu je l'aurais embarqué à la maison !

mercredi 28 mars 2012

Uncle Tan Safari

La rivière Kinabatangan
Mon avion est arrivé trop tôt à Sandakan. J'étais au quartier général de l'oncle Tan à 8h30, pour apprendre que le départ du safari ne serait qu'à 14h30. En fait il était prévu à l'origine que je me rende ce matin au centre des orangs-outans, tout proche du QG. Mais comme j'ai un hébergement à côté du centre la dernière nuit, ça ne servait à rien que je m'y rende ce matin, disposant de plus de temps les deux derniers jours. A la place je suis resté scotché à internet, en profitant pour mettre à jour le blog quant à mon périple (plus à jour avec les changements survenus en Australie) et j'ai créé un index pour aider à s'y retrouver au sujet d'une destination bien précise. Comme pour les messages, le plus récent vient en premier. Je ne trouve pas cela très pratique, si on veut lire l'histoire chronologiquement on ne peut pas. Et chaque jour n'est pas un jour indépendant comme un épisode de Desperate Housewives. Tout se tient et s’enchaîne, dans un suspense haletant. Je me fais ma propre critique très humble !
J'ai lu les pages d'accueil qu'ils nous ont données à lire. Elles reprennent les informations qui figurent sur le site internet. On est mis en garde contre le fait que le camp n'est pas exactement comme le Hilton, mais plus comme quelque chose de spartiate constitué de huttes où des matelas sont disposés à même le sol. J'aime bien leur philosophie. Quelques extraits glanés de ci de là : «The floodwater may rise high. Part of the camp may be under water. Toilets too may be under water. It can be inconvenient. », « Macaques can be mischievous at the camp area and are particularly attracted to things in plastic bags. They can also unzip bags. Fortunately they have yet to figure out combination locks », « Avoid bringing strong intoxicating drinks into camp. It would not be nice when someone gets drunk and spoils the holiday of others », « There are no shops nearby the camp or in the surrounding jungle area. Credit cards are completely useless in the jungle », 
« We conduct our business in a friendly way and lots of things are done as a matter of courtesy in friendship. Many business advisers tell us that this is not good businesss approach. But we don't care ! This is our way. We are not calculative about tiny bits of this and that. Similarly, it would be really nice if we receive the same understanding and consideration in return », « Give due respect to the wildlife in the area – they were there first and you are in their home territory – be a good guest ». On va essayer !
Nous ne sommes que deux à être de la partie aujourd'hui. Un américain à qui j'évite de trop parler car je ne comprends pas tout quand il me parle. Il est du Texas, alors c'est comme s'il parlait avec la gorge. Quand je le regarde, les lèvres ne bougent pas. C'est un ventriloque ! Les gens vont et viennent dans ce safari. Il se déroule selon la brochure sur trois jours mais en fait c'est deux jours pleins, commençant l'après midi et finissant un matin. Mais ça fait plus vendeur de dire trois jours ! 
Comme les excursions ont lieu tous les jours, on croise le premier soir au camp ceux pour qui c'est le dernier soir. Comme on n'est que deux, on s'est joint aux autres pour les activités sur place. Car des safaris sont organisés tout au long de la journée, différents selon les jours. Aussi comme on commence par la fin, on fera le début demain avec un groupe de 6 personnes qui doit nous rejoindre. Le camp se situe le long de la rivière Kinabatangan. Pour le rejoindre il faut prendre un van qui roule pendant une heure trente avant de prendre une barque à moteur pour une heure de plus. C'est une expédition ! Il faut bien ça si on veut espérer rencontrer la vie sauvage. J'ai dormi dans le van, je m’étais allongé au fond sur une rangée de trois sièges avec mon oreiller et je me suis assoupi malgré les soubresauts. Réveillé ce matin à 4h50, ça m'a fait le plus grand bien.
La hutte où j'ai mis la tente
Le camp peut accueillir 89 personnes, c'est leur record. Je ne sais pas où ils avaient caser tout ça car il y a en tout une dizaine de cases avec 5 matelas côte à côte. Les cases sont sur pilotis dans une mangrove avec des ponts de bois qui serpentent pour s'y rendre. Elle sont ouvertes sur la nature. C'est juste un bout de tôle ondulée avec des planches en bois sur 3 côtés. Comme promis les matelas sont sur les planches mais des moustiquaires sont disposées au dessus de chaque matelas. Rémy, un jeune qui semble juste sorti de l'école, celui qui gère le camp et est là à demeure (il nous a appris qu'il avait 6 jours de congés tous les mois qu'il cumulait tous les deux mois pour rentrer chez lui à Sandakan), nous a mis dans la première case qui venait, coincée entre le restaurant, la cuisine et le générateur. Inutile de dire que j'ai fait un tour du propriétaire avant de repérer les dernières huttes, vides, sans aucune aménagement. C'est là où je vais poser la tente ce soir. 
Dormir sur un matelas mousse sous une moustiquaire ou sur mon matelas auto-gonflant dans une tente, ça ne change pas grand chose. Seulement à être trop isolé, la faune en profite pour s'agiter et émettre tout un tas de sons. Les macaques ne cessent d'aller et venir en sautant de branches en branches. Il y a plein de batraciens qui croassent aussi forts que des aboiements et d'autres cris que je ne saurais dire de quelle bestiole ça sort ! Ce n'est donc pas de tout repos et il a fallu que je visite d'autres cases pour trouver le bon compromis. D'un autre côté je ne vais pas me plaindre de la jungle, je viens pour ça. Et comme dit l'oncle Tan, je suis sur le territoire des bestioles qui vivaient là avant nous. Respect donc !
Après l'installation nous avons été pris à part par Rémy qui nous a expliqué le déroulement de notre séjour. Les safaris commencent dès ce soir, un trek dans la jungle à la lumière de la torche à 21 heures pétantes, pour mieux voir les bêtes qui à cette heure là dorment et se laissent donc mieux approcher! 
Et demain le premier commence à 6h30. On ne vient donc pas ici pour dormir, chaque safari durant de 1h30 à 2 heures. Les repas sont servis le soir à 20 heures, avant les safaris. Il faut donc avoir la forme pour s'emmancher 3 heures après la tombée de la nuit dans une jungle assoupie, tout comme moi du reste, plus habitué à me coucher à cette heure là que d'aller faire un trek ! Nous avons fait la connaissance de l'autre groupe, 5 suédois et 1 espagnol. La nuit dernière ils ont eu la visite de civettes et de rats qui ont pour habitue de faire des trous dans les sacs dès qu'il sentent quelque chose de sucré. Rémy nous a demandé de placer pâte à dentifrice, savons, tout ce qui peut avoir une odeur suave dans des containers en plastique, les suédois ayant eu un trou gros comme une pomme dans leur sac à dos pour un gel douche !
Pour le trek, Rémy nous a prêté des bottes. Fort appréciable car le trek a lieu en fait autour du camp, dans la mangrove et la boue, les bottes restant parfois engluées dans une marre un peu trop compacte. 
Il ne faut pas s'attendre à voir un éléphant, la dernière fois qu'ils en ont vu ici c'était il y a un an et demi. Il faut en fait se contenter d'oiseaux qui dorment et qu'on peut presque toucher, même s'ils sont réveillés. En effet comme ils ne voient rien la nuit, ils ne peuvent pas s’envoler sinon ils se cogneraient partout. On a vu un martin pécheur, une chauve souris en train de manger un fruit, une tortue, et des petites grenouilles en veux tu en voilà, rigolotes, enroulées autour de rameaux comme des lianes. Il y avait aussi une civette en haut d'un arbre qui nous regardait la tête penchée vers le bas, effrayée. Elle était trop haut perchée pour que je puisse la prendre en photo. Le problème avec un groupe, c'est qu'il faut suivre le mouvement et la cadence. De plus de nuit, les gens n'avancent pratiquement pas alors que je voudrais gambader là dedans au risque de me vautrer dans la boue. Pourtant la clientèle qui vient ici devrait être faite d’aventuriers et d'aventurières. Les suédoises prenaient mille précautions pour plier une branche pour passer, le petit doigt en l'air se retenant les unes aux autres pour ne pas tomber. Question bestioles, rien de plus à signaler pour aujourd'hui. L'autre jour je parlais de grosses prises, je ne pense pas que ce soit le cas. Ce n’est pas grave, le cadre reste enchanteur et qui sait, demain peut être que j'aurai un crocodile la gueule ouverte attendant que je sorte de ma tente ! Déjà que dans la nuit, alors que je dormais la tête face à l'ouverture, j'ai senti un truc se poser sur la moustiquaire qui aurait bien aimé aller au delà. On ne saura jamais de quoi il retournait !

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