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samedi 31 mars 2012

Adopté !


Avec mon escorte de rangers, j'ai un accès VIP. Je passe les billetteries comme je sauterais par dessus un tourniquet de métro pendant que les autres derrière moi doivent décliner identité, scribouiller sur un livre et mettre la main au portefeuille. Tout sera mis sur ma note d’hôtel. J'aime ça, avec mon carnet de notes dans une main, près à noter la moindre observation et l'appareil photo de l'autre, ça me donne un air de biologiste venu étudier les singes. L'idée me plaît ! C'est presque une organisation militaire, pas de place à la détente, nos amis nous attendent. A 9 heures pétantes il faut avoir quitter l’hôtel et Jonathan passe faire un tour pour me voir cinq minutes avant pour s'assurer que je serai à l'heure. Car je suis toujours un peu à la bourre, le service ici étant tropicalisé et très variable d'un individu à l'autre de sorte que j'ai un peu de mal à estimer la durée d'un repas. Le petit déjeuner inclus dans le prix de la chambre est très basique mais ça me suffit. Ça permet aussi de ne pas s'éterniser. Une tasse de café et 4 toasts de pain mie accompagnés de beurre et de marmelade d'orange.
Ce qui est bien c'est qu'au premier feeding du matin je suis tout seul. Les touristes ne commencent à arriver que pour le second et il n'y a jamais plus d'une vingtaine de personnes. 
Ça reste raisonnable. Je n'avais pas fait attention, mais dans la mangrove que l'on traverse il y a de gros cônes de boue avec un trou au milieu. Jonathan m'a appris que c'était des crabes qui ne sortaient que la nuit pour monter aux arbustes afin de manger les feuilles. Ils sont exclusivement végétariens. Moi qui croyais que tous les crabes étaient des espèces de charognards dégueulasses, ceux là me semblent plus sympathiques et ils se donnent beaucoup de mal à construire leur terrier inversé. Arrivé à la plateforme il y avait un petit comité d'accueil. Deux ou trois mâles proboscis assis sur la rambarde et faisant le pied de grue en regardant vers nous. Ils sont malins, ça n'a pas de montre mais ça connaît les horaires d'ouverture. Par terre il y avait aussi des petits écureuils bruns à la queue grise touffue qui passaient l'aspirateur, furetant dans les moindres recoins à la recherche de miettes laissées par les singes. 
Ils sont rigolos, ils avancent comme des voitures à friction, en flèche puis s’arrêtant net avant de repartir un peu plus loin. Dès qu'ils nous ont vu, les proboscis sont devenus agités, sautant partout. Leur jeu favori c'est de sauter sur le toit en tôle ondulé. On a l'impression que le ciel va nous tomber sur la tête. Progressivement les cimes se sont mises à bruisser, assistant à un ballet de bras qui sautent d'arbres en arbres, les hautes herbes se fendant sous leur passage comme le sillage derrière un gros bateau. Et tout ça dans le silence. Ils ne poussent pas de cris quand ils s'approchent. L'invasion commençait, la planète des singes était de retour !
Jonathan les appelle en imitant leur cri. C'est très curieux, au début j'ai même cru que quelqu'un avec une voix caverneuse parlait au loin. Ils font le même son que ces gens à qui on a retiré les cordes vocales et qui parlent par contraction du larynx à l'aide d'un micro qui ressemble à un rasoir électrique.
On va dire que je suis horrible mais c'est tout à fait ça ! Quand les gros mâles débarquent, les autres n'ont qu'à bien se tenir. Ils sont toujours en retard, faisant leur star. Monseigneur arrive en frappant le sol bruyamment de ses pattes avant afin que les autres effrayés s’écartent pour lui laisser le passage. Il avance ensuite fier comme un pou et s'il pouvait y avoir un tapis rouge il serait encore plus content ! Je ne me lasse pas de l'observation des singes, je comprends que certains y aient consacré leur vie pour les étudier. Il y a quelque chose de spécial que l'on ressent à leur contact. Comme s'ils avaient un peu de nous. Je n'ai pas vu le temps passer que déjà Jonathan m'extirpait de mes contemplations pour me signifier le changement de plateforme.
A la plateforme B, comme ce n'était pas encore tout à fait l'heure du feeding, Jonathan m'a invité à patienter dans la salle de projection où il a mis un DVD en route, « The Biggest Nose In Borneo ».
Tout un programme ! Pendant ce temps il m'avait promis de faire venir en nombre les petits gris d'hier. Le film est très bien fait, tout nous est montré à travers les tribulations d'un groupe de singes et tout ce qu'on voit est là. C'est un film introuvable dans le commerce, conçu exclusivement pour le sanctuaire en collaboration avec des chaînes de télévision américaines axées sur la nature. Pour un truc à petite échelle, ça n'a rien d'amateur et ça pourrait rivaliser avec ces films qui voient le jour de temps en temps sur grand écran et que je ne manque jamais d'aller voir. C'est très dépaysant et plein de fraîcheur et sur grand écran on a l'impression encore plus d'y être. Ils devraient en passer plus souvent mais ce genre de film est étiqueté en France comme film pour enfants. C'est débile. Comme si le fait de s'intéresser à la nature n'était qu'un trait de l'enfance. On voudrait nous le faire oublier, dans un monde adulte où la jungle devient urbaine. 
Je n'ai pas pu voir la fin du film, il y a eu une coupure de courant quelques minutes avant. Du coup je suis allé à la boutique qui le propose à la vente. C'est juste un DVD enregistrable customisé pour lui donner un aspect plus professionnel. Mais il n'y a pas de code barre, rien qui lui permette d’être commercialiser. A garder donc précieusement, ça fait un excellent souvenir de Sabah. Voici ce qui est écrit sur la jaquette : « This story follows the trials and tribulations of two male proboscis monkeys living in a mangrove forest in Sabah, Malaysia. Alistair, aka « Biggest Nose », the alpha male, with his harem of 22 wives attempts to hang on to his empire while Bill, the young upstart and leader of a band of bachelors, challenges him for his harem and kingdom. Rapid progress of land development by humans have drastically reduced their mangrove domain while a lengthy drought has subjected them to further hardship. Their struggle to survive the twin disasters, tested these monkeys like never before. The ordeal, captured in this film, provides an extraordinary insight into their lives, revealing their astonishing intelligence and uncanny ability to a continuously changing environment ».
En sortant de la salle de projection, j'ai rigolé devant le portrait de plein de petits gris assis sagement sur la rambarde qui me regardaient tous, tournés dans ma direction. 
Alors on fait son rot?
C'était comique. Jonathan les avait attirés à l'aide d'espèces de longs haricots de 50 centimètres de long qu'ils tenaient dans la main par poignée comme un bouquet de fleurs dont ils grignotaient les extrémités. Jonathan dit qu'ils puent et s'en écarte dès qu'ils passent. Moi au contraire j'essaye de m'approcher doucement de plus en plus pour ne pas les effrayer. Leur odeur, forte certes, est supportable. Ça sent la merde de poule. C'est bien mieux que l'odeur d'un clebs dont tout le monde s'entiche. Moi, ces singes là me plaisent bien et si je pouvais en ramener un je le ferais. Mais il serait malheureux hors de sa jungle, en plus ils vivent en tribu. Je ne me vois pas ramener un troupeau. Je me suis toujours senti plus proche des animaux végétariens, au moins ils ne font pas de mal aux autres animaux et sont plus doux.
Il y avait une femelle petit gris qui tenait sous le coude un adorable bébé, tout orange. Car quand ils sont jeunes ils ont cette couleur fauve qu'ils perdent ensuite après 6 mois pour devenir gris. C'était un beau bébé avec des yeux tout ronds et un air innocent, qui se prenait les pieds comme un bébé humain et avançait gauchement comme n'importe quel bébé qui apprend à marcher. La femelle ne voulait pas trop que je m'approche, tirant son rejeton sous le bras quand je m'approchais pour déguerpir quelques mètres plus loin. Quand ils se déplacent c'est trop marrant, on voit deux petites mains dépasser dans le dos, agrippées au pelage. 
Quand l'homme et l'animal se comprennent...
Les bébés sont transportés ainsi, sous le ventre. Les proboscis font d'ailleurs de même. Car des bébés, j’en ai vu plein aujourd'hui. Et ça me réjouit, c'est le signe qu'ils se plaisent bien et qu'ils ne sont pas en voie d'extinction... si on arrête de leur voler leur territoire. Pour le bébé proboscis, il est tout aussi gauche, tremblotant, avec un crâne noir au pelage ras qui lui donne l'impression de porter un casque. Contrairement aux adultes il a un petit nez. Il est rigolo mais pas si adorable que la version petit gris qui est renversante. On dirait un jouet de la taille d'un chaton.
J'ai remarqué par contre que les bébés s'échangeaient et passaient de bras en bras, les autres femelles certainement attendries voulant tenir dans leurs bras ces fragiles créatures qu'elles regardent tendrement, passant un doigt sur leur pelage. Elles ne font pas que du baby-sitting, elles les allaitent aussi, de sorte qu'on se demande qui est la mère. 
D'ailleurs le savent elles elles mêmes ? Pendant ce temps le bébé, qui n'a rien demandé à personne, crie, à moitié écartelé par une femelle qui le tient par le corps tandis qu'une autre essaye de l'arracher en lui tirant un bras ou la tête ! C'est dur d’être un bébé croquignolet ! Devant la contemplation des petits gris qui m'ont occulté de celle des proboscis, je n'ai pas vu le temps passer et Jonathan m'a encore une fois extirpé de là pour me ramener au Nipah Lodge où le déjeuner m'attendait. Midi déjà !
A peine le repas avalé qu'il était l'heure d'y retourner. C'est comme la pause déjeuner au boulot sauf que le boulot ici consiste à observer les singes ! C'est plus divertissant, plus réjouissant aussi d'y retourner. J'ai sauté dans le van climatisé, direction la plateforme A, ma préférée, celle dans la jungle. Cette fois il y avait plus de monde. J'ai enlevé le T-shirt, saisi mon calepin et que le spectacle commence ! 
Les gros nez étaient en train de se reposer dans les arbres pendant que les bébés se chamaillaient en se tirant la queue ou en s'envoyant des pieds à la figure pour désarçonner l'autre. Ils s'amusent aussi à se battre et à se mordiller. De temps en temps une femelle s'approche pour passer deux doigts dans leur pelage pour leur enlever la vermine mais ça ne dure jamais bien longtemps, les inspections ne donnant rien. J'ai essayé de prendre en photo les singes en train de se jeter d'un arbre à l'autre mais c'est impossible à saisir, même en mode rafale, les photos sont troubles car ils vont trop vite. Je vais tuer l'appareil photo. Je n’arrête pas de mitrailler, il en arrive de partout et chaque scène a un côté touchant. Et comme ils s'agitent tout le temps, bien souvent ils tournent la tête au moment où l'on prend la photo, de sorte qu'on reste le doigt crispé sur le déclencheur attendant le moment où ils regarderont à nouveau en face. 
Aujourd'hui j'ai fait 523 photos, 5 fois plus que la normale. Mon disque dur de l'ordinateur est saturé. J'ai dû me débarrasser de vidéos encombrantes. Une fois le tri effectué il m'en reste encore la moitié. C'est beaucoup. J'ai un disque dur externe pour les sauvegardes mais je n'ai pas envie de supprimer des photos de destinations passées sur l'ordinateur, on ne sait jamais ce qui peut arriver, je préfère les avoir en double sur deux appareils différents. Car avec le numérique, une perte est si vite arrivée. Je sais ce que je dis ça fait deux fois que j'écris ce post. Faites un saut deux jours plus tard et vous saurez pourquoi...
Comme ce matin, le temps file comme une flèche, un peu comme quand je plonge à la rencontre des petits poissons. Moi qui pensais que 10 feedings seraient peut être de trop, plus j'apprends à les connaître en les regardant et plus je suis fasciné. 
De retour sur la plateforme B les petits gris étaient toujours là. Ils ont dû me reconnaître car ils se sauvent moins quand je m'approche. J'ai trouvé la parade, en m'asseyant à leur niveau en tailleur sans bouger. Comme pour se faire obéir des enfant. Ainsi j'ai commencé à sentir des pelages me frôler en passant, jusqu'à ce qu'ils viennent tous autour de moi formant un cercle, tout en continuant à vaquer à leurs occupations comme si de rien n'était. Ça ne s'est pas fait tout de suite mais progressivement. J’étais adopté et la femelle avec le bébé orange s'est assise juste en face, desserrant les bras comme pour m'offrir son rejeton. Le bébé petit gris s'est mis à explorer autour de lui, godiche, dérapant de temps en temps mais la femelle gardait un œil sur lui et le remettait en selle à chaque faux pas. Je l'avais pour moi tout seul, si près que j'ai pu le toucher. Il ne disait rien et la mère non plus. Avec ses deux petites oreilles roses sur le côté, on dirait vraiment un bébé humain. En moins braillard ! Même l'appareil photo s'est laissé tromper. Alors que je prenais le bébé de face, j'ai vu un carré clignoter autour de son visage, pour me signifier l'activation du mode reconnaissance de visage ! C'est un mode qui permet de faire la mise au point sur un visage même si le sujet n'est pas au centre de la scène ou en mouvement. 
L'appareil photo est d'ailleurs devenu la coqueluche des petits gris. Ils n'avaient de cesse de jouer avec la dragonne de l'appareil photo, tirant dessus. Mais je tenais l'appareil photo fermement. J'ai aussi été obligé de nettoyer l'objectif à de nombreuse reprises, ils n’arrêtaient pas de mettre leurs petits doigts dessus, attrapant l'objectif de leurs mains et cherchant à le mordiller. Au bout d'un moment je leur ai donné l'appareil photo, gardant la dragonne et un doigt sur le déclencheur. Comme ils avaient l'objectif face à eux, ça promettait de donner de jolis gros plans à faire rigoler un tyran. L'un d'entre eux est venu me grimper dessus pour jouer. J’étais devenu la coqueluche du groupe, leur grand frère qu'ils aimaient embêter. J'en avais un perché sur la tête, je l'entendais mâchouiller je ne sais quoi, mes cheveux je suppose. J'étais aux anges et je suis devenu l'attraction des autres touristes qui me prenaient en photo, transformé en porte singes. 
J'en avais d'autres qui s'asseyaient sur un avant bras, en équilibre. Je les caressais au passage, leur prenant un pied ou une main qu'ils resserraient sur mes doigts. Ils ont la peau des mains toute douce. Je pensais qu'elle serait rêche et pleine de cors, au lieu de ça on dirait de la soie ! Je leur laissais faire tout ce qu'ils voulaient ou presque. Car ils avaient tendance à être fascinés par mes tétons qu'ils essayaient de choper avec leurs doigts quand ce n'était pas carrément pour sauter vers eux, les dents devant ! Ça devait leur rappeler les petits lolos de leurs mamans ! J'ai mis de côté le fait qu'ils pouvaient avoir des vermines à me refiler ou des virus. Une occasion comme cela est unique et si je dois tomber malade à cause des petits gris eh bien tant pis. J'aurais bien ri en échange !
Inutile de dire qu'en de telles circonstances les proboscis n'existaient plus. Ça me faisait un peu de peine pour Jonathan qui s'en occupe si bien et me regardait faire avec les petits gris.
17 heures a fini par arriver, l'heure de rentrer au Nipah Lodge. J'ai laissé les singes là, pressé de les retrouver dès demain. Après 8 heures à les contempler – une journée de boulot – je suis devenu fada des singes. Il y a un panneau à l'entrée de la plateforme B avec une peinture de proboscis où est inscrite la mention « They deserve to have long and healthy life ».
 C'est tout ce que je leur souhaite. Quand je vais partir ils vont me manquer. Je voudrais presque avoir de leurs nouvelles. Mais je sais qu'ils sont heureux ici et bien traités, ça fait plaisir à voir. Jonathan m'avait proposé hier soir une balade nocturne dans la jungle à la rencontre de sapins de Noël. J'avais décliné en raison de l'orage mais pour ce soir j'ai dit que j'étais intéressé. Après le dîner nous sommes donc retournés à l'entrée de la plateforme A, sur le ponton d'accès dans la mangrove. Comme promis les sapins de Noël étaient là. Tous les arbustes des alentours étaient couverts de ces « fireflies » dont j'ai appris que leur scintillement est un appel au sexe ! C’est le mâle qui éclaire pour signifier qu'il est là. Car la nuit tous les chats sont gris, on aurait tôt fait de les ignorer. Jonathan braquait sa torche contre lui, en petits et rapides mouvements pour former des éclairs qui les excitaient davantage. 
J'ai réussi à prendre une photo en mode manuel, choisissant une exposition de 30 secondes mais la photo n'est pas extraordinaire et très pixelisée. On a aussi cherché à voir des crabes en train de brouter mais ils ne devaient pas encore être sortis. Il faut dire qu'il n'était que 19 heures. On était de sortie tôt car Jonathan était invité à un mariage dont on entendait déjà les flonflons d'un orchestre. Car ici la tradition est que chaque mariage a son orchestre privé. Il m'a proposé de l'accompagner mais j'ai décliné l'invitation. Cela aurait pu être une riche expérience, mais je lui ai dit la vérité, que je préférais me lever tôt demain, frais pour être disponible pour une nouvelle journée de contemplation des singes dont je ne me lasse pas. Il a très bien compris. Le truc aussi est que je ne me voyais pas rester là bas des heures, tributaire d'un transport pour rentrer, dans une fête qui était sans doute partie pour durer toute la nuit. J'ai préféré aller me coucher, c'était plus sage et quand j'ai fermé les yeux j'ai vu plein de singes s'agiter devant mes yeux. Je les ai tellement regardé que ma rétine en a conservé l'image !

1 commentaire:

  1. Ivan ça a l'air génial! Matthieu ce matin est tombé sur l'un des photos de ton site... nous n'avions pas le temps de le regarder en détail parce qu'il fallait partir à l'heure, mais je sais déjà ce que nous allons faire de notre soirée! Matthieu a déjà programmé de regarder ton site! :-)

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