Le tropique du Capricorne

C'est bien la première fois que je me retrouve sous les tropiques sans avoir besoin de prendre l'avion. C'est suffisamment exceptionnel pour mériter d'être souligné. Ce matin j'ai pris la route pour 1770 où je devais arriver en soirée afin d'être fin prêt pour l'excursion de demain. Drôle de nom qu'une ville qui porte des chiffres. Ça fait T-Shirt de sport. C'est impossible à prononcer. A quelqu'un qui me demandait où j'allais, j'avais commencer par balbutier « one thosuand seven hundred... » et il avait complété en disant « seventeen seventy ». C'est plus court comme ça. En fait si la ville - qui est juste une marina avec deux hôtels - s'appelle ainsi c'est en hommage au capitaine James Cook (encore lui!) qui débarqua ici en 1770, lors de son second voyage en Australie. C'est par ici que tous les gens ont débarqué pour coloniser le Queensland. 

L'endroit est donc de grande signification pour les Australiens. Quand on y songe, 1770 ce n'est pas si lointain que ça, à peine 242 ans, avant il n'y avait rien à part les aborigènes. Ça me plaît de savoir que ce pays a une histoire si courte, encore plus réduite que celle des États-Unis. Qu'est ce que c'est 240 ans à l'échelle de l'histoire de la Terre ?

Quand j'ai quitté Rainbow Becah, je me suis rendu à Tin Can Bay pour observer deux dauphins qui viennent là depuis 30 ans tous les matins se faire nourrir. Ce sont les mascottes de ce paisible port de pêche qui répondent au nom de Mystique et de sa copine Patch. Les animaux sont bien vieux et ont des nageoires dorsales décolorées qui fait fait penser à de la peau d'éléphant mycosée. Bref le spectacle n'a rien de très ragoutant, d'autant plus qu'il draine un monde incroyable qui vient chahuter là un seau de poisson acheté 5 dollars pour se prendre en photo les pieds dans l'eau avec le poisson dans la main et le dauphin la gueule ouverte. 

Et ça joue des coudes et les gens se montent dessus pour avoir la meilleure place pour prendre une photo. Il y a une effervescence digne de paparazzis. Je préfère voir les dauphins en liberté en train de jouer avec le bateau, c’est plus mignon et on se sent plus privilégié d'avoir croisé leur route plutôt que des dauphins qui ne doivent plus chasser depuis belle lurette vu qu'on les nourrit depuis 30 ans.

Je ne sais pas ce qu'ils ont avec les travaux dans le Queensland mais ça n'arrête pas. Impossible de rouler sans avoir un arrêt tous les 3 kilomètres. Le cirque est toujours le même : un panneau 80 qui indique l'approche imminente d'un site en travaux, puis 60 puis 40 pour finir sur un type avec un panneau stop d'un côté et slow de l'autre qui parle dans son talkie-walkie avec un autre de l'autre côté pour savoir dans quel sens tourner son panneau. 

Ça peut durer 10 minutes ainsi, le temps que l'autre file ait fini de débouler. Évidemment ce genre de truc crée des bouchons et quand on en sort ce sont des ralentissements car toutes les voitures se suivent à la queue leu-leu et malheur s'il y a une caravane ou un camion, ça bloque tout. Bref, impossible de rouler convenablement. Au retour, je roulerai en fin d'après midi et en début de matinée, m'arrêtant au milieu afin de conduire quand il n'y a personne sur les chantiers. Je suis parti ce matin de Rainbow Beach à 7h30, content d'être parti de bonne heure et je ne suis arrivé à 1770 qu'à 15h30. Pourtant il doit y avoir à peine 300 kilomètres.

Sinon, question temps, j'ai relevé la température ce matin et ça donne : 25 degrés à 7h30, 26 à 8h, 27 à 8h30, 29 à 9h, 33 à 10h30 et 34 à 12h30. Après j'ai arrêté de compter! Ce sont des températures pour moi, je ne suis content que quand le thermomètre dépasse les 30 degrés. 

Ça se concrétise!

En France on crierait à la canicule et on nous enlèverait un jour de congé pour ça ! On s'est bien fait avoir au passage, personne n'a rien dit et s'est laissé faire, sans grève pour une fois, au nom d'une solidarité que l'on voulait nous faire passer pour renforcée. J'ai tout de suite crié à l'arnaque quand ça a eu lieu. Pas de canicule depuis 2003, mais le jour en moins, lui, il reste. Et les sommes collectées vont j'en suis sûr ailleurs. Plus personne n'en parle ni contrôle, c'est oublié et on s'est juste fait avoir. J'avais bien vu le coup venir. Un jour de plus à travailler pour l’État, gratuitement...

Plus j'y pense et plus j'ai envie de tenter l'aventure en indépendant. Je pensais à ça en me baignant dans les vagues. Acheter de ma liberté et être payé pour mon travail sans intermédiaire. Je pourrais passer les consignes au cabinet de portage en leur disant que je ne veux que des missions courtes (pour avoir la faculté de partir entre 2 missions) et que 3 mois par an je ne serais pas disponible. Qu'est ce qu'ils auraient à y dire ? C'est moi le patron. 

Un perroquet tout noir

Si je veux m'augmenter, je le fais sans avoir à pleurer après quelques pourcentages qui arrivent rarement et ne couvrent même pas l'inflation. Finis les entretiens de carrière qui ne servent à rien, les enquêtes de personnel qui ne changent rien ! Il faudra juste que je me renseigne sur les frais professionnels, pour savoir ce qui est déductible et comment (est ce sur le revenu ou sur le montant imposable ?). Par exemple je sais déjà que je pourrais louer un 3 pièces et faire passer un tiers du loyer en note de frais pour occupation professionnelle d'une pièce. Après il faut que je sache pour les transports, style Paris-Nice comment ça se passe. Et la sécu et la retraite ? Il faut que je calcule tout pour voir si ça vaut le coup ou non. Madonna disait dans une de ses chansons : « Why work for someone else when you can do it right now ». Elle, elle n'a pas de patron et a l'air de bien s'en porter ! Ça tourne depuis dans ma tête comme une ritournelle me poussant à franchir le pas.

En route, il y a de nombreux panneaux indiquant la traversée possible de bétail. Déjà qu'en France je n'aime pas ce mot de bétail - ce sont des animaux comme les autres qui ont droit au respect comme tout être vivant - , ici ils emploient un mot qui est pire : « stock ». Ils les voient ainsi comme un truc bon à remplir leur congélateur. On passe de l'état d'être vivant à celui de marchandise prête à la consommation. Beurk ! Sinon j'ai remarqué que le diesel ici coûte plus cher que le sans plomb. Ça c’est une décision censée, le diesel polluant plus. A quand le même décision en France ? Ça arrêterait peut être le fait que les gens s'équipent de véhicules diesel. Mais elle n'est pas prête de voir le jour, avec le lobby des camionneurs, ils n'auraient pas fini de bloquer les routes.

De temps en temps en roulant, il y a une drôle d'odeur qui envahit le véhicule. J'avais déjà remarqué au préalable, pensant que mon nez me jouait des tours. Mais pas du tout, il y a des effluves très fortes de haschisch qui feraient lâcher aux flics leur chiens pour moins que ça ! 

Je ne sais pas quelle plante fleurit sur le bas côté des routes mais ça y ressemble beaucoup. Pour la phrase précédente je me suis donné un mal de tête fou pour déterminer quelle était la phrase correcte grammaticalement et je n'en suis toujours pas sûr, elle sonne bizarre quand on la lit à haute voix. A vous le tour, c'est digne d'une question pour « Qui veut gagner des millions ». Vous pouvez opter pour le coup de fil à un ami si vous voulez. Option 1 : « des odeurs qui feraient lâcher les chiens aux flics ». Option 2 : « des odeurs qui feraient les flics lâcher leurs chiens ». Option 3 : « des odeurs qui feraient lâcher aux flics leurs chiens ». Option 4 ? Je n'en trouve pas. A vous de trouver la bonne, moi à vrai dire je ne sais pas trop...

En arrivant au tropique du Capricorne, la végétation change un peu, on se surprend à voir des cocotiers au milieu des prairies à vache ou des jardins. Sinon l'eucalyptus le vit très bien, c'est toujours lui le roi du pays ! 

Je suis sûr qu'on doit continuer à le trouver même dans le Far North, cette péninsule juste en dessous de la Papouasie. On croise aussi de nombreux champs de canne à sucre avec une ville, Bundaberg, qui s'est fait une spécialité dans le rhum. On accourt de tout le pays pour le déguster directement à la distillerie. Il paraît qu'il est très réputé. Quand je disais que l'Australie a tout, ils ont même leur rhum. Et des litchis dont c'est justement la saison ! Ils ne viennent pas de Madagascar et ne se sont donc pas tapés des heures de bateau en plein cagnard. Du coup ils sont très frais, très bons, très sucrés (j'en ai le volant tout collant à force d'en manger en conduisant) et très juteux. J'ai toujours un jet qui m'explose à l’œil quand je les pèle comme un furoncle trop mur. Il n'y en a pas un seul d'acide. Bref, c'est le bonheur !

Ce soir j'ai trouvé un endroit dans un quartier résidentiel en devenir dont les terrains fleurissent de panneaux « à vendre ». Pour l'heure c'est dans une impasse, toutes les rues sont déjà là, ils ont tondu l'herbe pour faire plus vendeur, il y a des arbres pour cacher, bref un vrai terrain de camping ! Ça y ressemble du reste fort, aussi c'est pour ça que je me suis bien caché car je ne serais pas surpris que ce soit inspecté par la police le soir. Ils doivent bien s'en douter. Car je ne suis pas le seul à faire du camping sauvage : en quittant ce matin Rainbow Beach j'ai trouvé une voiture garée à une intersection où le conducteur avait planté sa tente sur le terre plein central, sans doute le mieux qu'il ait trouvé en pleine nuit. Mais cette nuit personne n'est passé, et pour cause : il s'est mis à pleuvoir dès que je suis entré dans la tente. Un déluge. Auquel je m'attendais un peu vu qu'on ne voyait ni pleine lune ni étoiles. Pourtant il a fait beau toute la journée, un grand ciel bleu, mais ces foutus nuages venus des terres ont gagné la côté une fois le soleil parti. Espérons que demain il les repoussera au loin de ses petits bras musclés comme il le fait depuis que je suis là !