Cap entre les deux iles |
J'ai parlé un peu plus
ce matin avec mes voisins de tente, ce sont en fait des suisses
accompagnés de leur fils, venus là pour plonger. Ils ont pris note
de mes coins préférés en Polynésie qui avaient l'air de beaucoup
les intéresser. En échange j'ai noté leurs coins favoris à
Bornéo. Échange de bons procédés : entre globe-trotteurs, on
se refile nos tuyaux. Ils m'ont demandé aussi quel budget j'avais
prévu pour ce voyage et combien de temps ça m'avait pris à
organiser. Un tel projet ça se mûrit et ça se construit au fil des
mois. Ils étaient émerveillés et m'ont demandé de ne pas en dire
un mot à leur fils, qui doit finir ses études, question de ne pas
susciter des vocations. Mais le pauvre chéri, s'il est déjà là,
c'est déjà trop tard. Quand on y a goutté, c'est le début de la
fin. S'ouvrir aux horizons nouveaux, c'est entrouvrir la porte de la
cage...
Plus tard, alors que je
m’apprêtais à régler ma note, un couple est arrivé dont j'ai
tout de suite deviné la nationalité à l'accent de la fille. Le
réceptionniste nous a présenté : des français de Toulouse.
Ils viennent juste passer quelques jours sur Carp Island avant de
remonter sur Guam et de rentrer. Apparemment ils n'ont pris que deux
semaines, c'est peu pour venir de si loin. En plus la Micronésie
n'est pas une destination à laquelle on pense comme étant une fin
en soi. C'est pour cela que je ne croise quasiment aucun français.
Avant, ils étaient sur Yap, une autre île de Micronésie qu'ils ont
beaucoup aimée et que j'avais envisagé un temps de visiter.
Mais il
faut faire des choix, je n'ai pas suffisamment de temps pour tout
voir, alors je vais droit aux incontournables. Apparemment ils ont eu
à Yap un contact privilégié avec la population, assistant aux
répétitions des spectacles de danse et à la construction des
pirogues traditionnelles. Leur aventure c'est la rencontre des
locaux, moi c'est plus de découvrir les plus beaux paysages de la
planète. Chaque touriste a son style et vient chercher des choses
différentes. Pour les plongeurs en revanche j'ai un peu de mal à
saisir leur passion. Certes c'est chouette d'aller voir de jolis
poissons mais de là à y consacrer toutes ses journées... La
première plongée organisée par le resort était au lever du jour,
dès 6 heures. Je les ai vus partir sous la pluie et une luminosité
approximative. Rien ne les freine. Pourtant ce doit être une passion
ruineuse, quand je vois les tarifs des sorties. Pour les speed boats
de plongeurs qu'on croise partout c'est la même chose. Ils arrivent
en trombe quelque part, ne regardant rien, sautent, remontent puis
partent butiner ailleurs. Et en fin de journée ils rentrent épuisés
sur Koror, dormant tous sur le bateau. Ils traversent ainsi chaque
jour les Rock Islands. C'est étrange qu'un resort se trouve si loin
de Koror et fonctionne. Car arrivé à Koror, il faut se farcir
encore plus d'une heure de hors bord pour atteindre Carp Island.
Entre mon tour en canoë
et le tour du monde, j’épate tout le monde. J'ai donc donné les
coordonnées du blog, qui pourrait susciter des envies et des idées
de voyage. Si mon expérience peut servir à d'autres, tant mieux !
Les toulousains se sont transformés en japonais quand j'ai quitté
Carp ; ils n’arrêtaient pas de prendre des photos et des
vidéos. Au cours de la traversée pour rejoindre Peleliu, au niveau
du banc de sable que j'étais allé taquiner hier après midi, j'ai
vu deux raies manta qui virevoltaient comme des papillons. J'ai voulu
plonger mais elles étaient déjà loin et avec le courant et le vent
qui m’emportaient vers l'ouest, je tenais à garder mon cap bien au
sud, focalisé sur un passage entre deux îles, sans avoir à
modifier la trajectoire et à me retrouver face au vent à cause
d'une dérive. Et puis des raies j'en ai vues plein à Tikehau.
Plus loin ce sont des
requins qui filaient comme des flèches. C'est étonnant car chaque
fois que j'aperçois des requins c'est dans des espèces de lagons
très peu profonds où il n'y a rien d'autre que du sable. L'avantage
c'est qu'on les voit mieux. Au milieu du lagon – le même qui ne
ressemble à rien à marée basse – il y avait aussi une souche
d'arbre servant d'aire de repos providentielle à des oiseaux qui
regardaient tous dans la même direction, le vent dans le dos.
C'était drôle à voir. Le passage entre les deux îles est en voie
de disparition.
Arrivée à Peleliu |
De jeunes pousses de palétuvier sont arrivées à
prendre racine, laissant deux petites feuilles hors de l'eau à marée
haute. C'est suffisant et quand ils vont se développer et grandir,
ils serviront d'abri coupe vent et coupe courant à de nouvelles
pousses. C'est ainsi que naissent les mangroves. Déjà les deux
côtés du passage en sont couverts. Les oiseaux y ont élu domicile,
c'est un vrai concert de chants et de piaillements, ça s'agite là
dedans comme dans une ruche. Certains m'ont suivi et je les regardais
faire depuis le kayak, tournant leur petite tête de gauche et de
droite, scrutant la surface du lagon. Parfois je me demande comment
ils font pour voir. Nous on aurait des larmoiements tout le temps et
une sécheresse de l’œil causée par la vitesse et le vent. Dès
qu'il y avait un frémissement signalant la présence d'un banc de
petits poissons, ils se mettaient au ras de l'eau, piochant leur long
bec dans l'eau tout en volant. Ces oiseaux là ne plongent pas, ils
pêchent en continuant à voler. A chacun sa tactique. C'est beau de
voir comme la vie s'est développée dans ces endroits entre mer et
terre. Et les oiseaux ont la belle vie ici, je ne vois nul prédateur
qui pourrait leur nuire.
On ne peut pas dire que
l'arrivée à Peleliu soit extraordinaire. C'est un quai avec un gros
bateau et de petites vedettes de pêcheurs, avec derrière un motel
et un centre de plongée. Le tout le long d'un chenal aux eaux
troubles vert foncées remplies d'algues qui flottent et sans l'ombre
d'une plage. Je suis arrivé là trop tôt, dès 11 heures alors que
le bateau – celui qui est déjà à quai – ne part qu'à 14
heures. Je pensais visiter Peleliu dans le délai mais il n'y a l'air
de ne pas avoir grand chose à voir. Kay m'avait dit que je pouvais
louer un vélo et parcourir un peu l’île à la recherche des
vestiges de guerre dont elle regorge. La population s'est concentrée
au nord car il y a encore des territoires truffés de mines dont on
ne sait pas très bien où elles se trouvent. J'ai fait le tour du
pâté de maison, cherchant à l'arrière s'il y avait des vélos
attachés. Rien. Il n'y avait personne non plus pour me renseigner,
l'endroit était mort, ne devant s'animer sans doute qu'au départ et
à l'arrivée des ferrys. Car le village est un peu plus bas. J'ai eu
dans l'idée d'aller le visiter en kayak mais j'ai changé d'avis car
j'aurais dû affronter un vent contraire sur le retour. Au centre de
plongée qui organisait aussi des circuits et des tours de Peleliu
j'ai cherché à me renseigner, question de savoir si le bateau
partait bien d'ici et comment se procurer un ticket. La porte était
grande ouverte mais il n'y avait pas un chat. J'ai donc traîné sur
le quai, me demandant que faire en attendant le départ. Je n'avais
pas envie de rester là, sous un chapiteau avec des gens amorphes
sans doute shootés aux herbes locales et entouré de chiens qui
levaient la patte sur tout ce qu'ils ne connaissaient pas !
On est mieux à bord que sur un kayak! |
J'ai repris le canoë,
remontant un peu le chenal, face au vent, question de voir s'il n'y
avait pas moyen de trouver une plage au bout. En guise de plage il
n'y avait que des blocs en béton que des touristes avaient squattés,
se faisant bronzer là et devant aussi attendre le départ. Par
chance, juste un peu plus loin au large se trouvait une zone
circulaire sableuse aux eaux plus lipides. J'ai attaché le kayak au
pied, passant par dessus bord pour m'asseoir dans ce qui ressemblait
à une gigantesque baignoire. A défaut de plage ça faisait bien
l'affaire et j'étais mieux là que sur la place du port ou les blocs
en béton en face. Je n'ai pas fait gaffe mais pendant que je
rêvassais, à la limite de faire la planche, j'ai aperçu un requin
qui passait par là, à la recherche de la bonne affaire. J'ai
toujours un peu peur de rester immobile dans l'eau, craignant qu'on
ne me prenne pour mort, aiguisant des appétits dont je me passerais
bien !
Une baignoire c'est bien
mais après quelques temps on s'y ennuie. Comme il était plus de
midi je me suis mis en quête d'un endroit ou pique niquer, longeant
le chenal où j'ai trouvé un endroit à l'ombre de filaos avec une
planche en bois disposée entre deux rochers.
Il ne me reste plus
grand chose en nourriture et c'est tant mieux, je ne me suis pas trop
mal organisé. J'ai juste en trop une conserve, un plat cuisiné et
un sachet de riz préparé. Je les donnerai à Kay en rentrant si
elles les veut bien. Par contre j'ai encore plein de bouteilles d'eau
dont je ne sais pas quoi faire. Je pourrais ouvrir une boutique
avec ! Je ne suis pas resté très longtemps à pique niquer, à
peine installé j'ai constaté que de gros nuages noirs fonçaient
vers moi. J'ai donc repris le canoë cherchant à trouver un abri
sous le chapiteau. Mais il y avait déjà des gens à bord du ferry.
Comme ils étaient tous occupés à charger des marchandises côté
quai, j'ai hélé depuis le canoë, petite embarcation au pied d'un
gros bateau où les gens ont dû se pencher en se retenant des deux
mains pour voir qui gueulait comme une mouette plus bas. J'ai demandé
à savoir comment je pouvais hisser mon engin à bord. Ils ont alors
abaissé le pont à l'avant du navire et le temps qu'une jeep s'y
engouffre, ils m'ont donné un coup de main pour faire glisser le
kayak à l'intérieur. Puis j'ai pris place.
Nul besoin de s'inquiéter
pour les billets, il n'y en a pas. Tout se passe à bord avec une
femme qui tient un registre large comme une affiche. J'ai annoncé
mon nom, le prénom lui a suffit, ça faisait plus court, elle a noté
que j'avais un kayak et m'a demandé 17$ dont 10 pour le kayak. C’est
pas cher, je m'attendais à plus. Le bateau est épique. On s'assoit
où on peut, au milieu des marchandises. Le pont est constitué de
palettes en bois où l'on peut passer un pied à travers et les
sièges sont des bancs non fixés. La clientèle est hétéroclite et
rurale, constituée à 95% de locaux qui sont venus avec oreillers et
nattes pour s'allonger. Il y a tous les ages, tout le monde se
connaît et se parle, plaisantant, les jeunes parlent aux vieux, vont
leur chercher spontanément des friandises ou des boissons qu'ils
leur offrent. C'est comme une grande famille, très gaie où tout le
monde sourit. On se croirait sur un marché. Pendant ce temps là, le
personnel, que des petits jeunes, chargent le fourbi, des glacières,
un vieux frigo hors d'age, un aspirateur au tuyau percé... Les gens
arrivent dans des voitures déglinguées au pot troué et constituées
d'un patchwork de tôles différentes.
Un banc s'est dégagé entre Long Beach et Jackson's Beach |
Les bagnoles dans cette île
n'ont pas dû passer le contrôle technique depuis bien longtemps !
Ça ne les empêche pas de rouler et c'est tout ce qu'on leur
demande. Et ça n’empêche pas non plus les gens d’être
visiblement heureux, même des dents en moins et le reste chancelant.
Il y en a qui m'ont
parlé, me demandant d'où je venais. Dès que je racontais que je
venais de Koror, ils prenaient tous un air étonné, écarquillant
les yeux. Ils n'en revenaient pas et voulaient tout savoir. En
parcourant le trajet dans l'autre sens je n'en reviens pas moi non
plus d'avoir fait tout ça. C'est interminable, je reconnais les
côtes, parfois non mais une chose est sûre, je suis passé par là,
à la force de mes petits bras. Ça peut paraître prétentieux à
dire mais je suis fier de moi. J'ai la satisfaction d'avoir accompli
une belle aventure et c'est la raison pour laquelle je mettais un
point d'honneur à continuer jusqu'à Peleliu. Les gens me disent que
j'ai dû voir des choses fabuleuses et ce qu'ils trouvent
d’extraordinaire c'est le fait d'avoir fait ça tout seul en
dormant sur des îles sauvages. Quand on y pense ça peut paraître
fou mais je conseille chaudement cette aventure à quiconque se sent
l’âme d'un aventurier et rêve d'une expérience à la Robinson.
Il n'y a pas mieux et c'est le seul endroit au monde que je connaisse
où l'on puisse le faire. Les locaux me pressent de tout raconter à
mon retour en France, de faire partager leur beau pays et terminent à
la manière d'une prière : « Don't forget to come back ».
J'essaierai...
Le rafiot, qui au début
ne m'inspirait pas tellement confiance, allant jusqu'à penser que si
l'on devait sombrer j’aurais le kayak dans lequel sauter, est plus
robuste qu'il n'y paraît, même sil l'on ne peut pas dire qu'il file
très vite. J'ai cherché à voir sur le pont supérieur à travers
les vitres de la cabine du capitaine si je ne pouvais pas apercevoir
un compteur. Juste pour avoir une idée de la distance entre Koror et
Peleliu. J'aimerais bien savoir. Mais je n'ai pas réussi, avec les
rayons du soleil qui se reflétaient sur la vitre. A la place j'ai
trouvé autour de la cabine les jeunes de l'équipage qui
mâchouillaient des espèces de mini poivrons verts contenus dans une
valisette d'outils de chantier. Puis ils finissaient par cracher par
dessus bord dans un filet de bave rouge et quand ils rigolaient ils
affichaient des bouches de vampires ! La boite est passée de
mains en mains. Ils avaient aussi disposé un fil de pêche qui
traînait un calamar en plastique rose fluo dans le sillage du
navire. Et on a fini par choper une belle prise. Le bateau a freiné
brusquement et tout le monde se demandait si quelqu'un n'était pas
passé par dessus bord. Les jeunes m'invitaient à m'approcher pour
que je filme la scène. Un beau poisson aux yeux grands comme un œil
de bœuf et aux dents acérées comme un crocodile. Dès qu'il l'ont
remonté à bord, ils lui ont asséné de grands coups de bâton sur
la tête pour l'achever et le poisson a fini par agoniser en
convulsions, le crane défoncé. Un peu barbare comme technique mais
efficace. Au moins il n'a pas souffert. Ça me fait toujours un peu
de peine en revanche pour ce poisson qui était heureux de vivre et
se donnait du mal chaque jour pour nourrir ce grand corps. Et ce
n'est pas si loin que cela de nous, ça a de grands yeux avec une
pupille, des dents et même du sang bien rouge.
C'est la dernière des Rock Islands... |
On est arrivé à Koror à
17 hures, 3 heures après le départ. Ce fut une longue traversée.
Kay est arrivée quelques instants plus tard, s'excusant du retard
qu'elle n'avait pas. J'ai appris que si j'étais parti de Carp le
bateau aurait mis deux fois moins de temps mais comme il partait 1h30
plus tard je serais arrivé au même moment alors ça revenait au
même. Et ça aurait été moins folklorique. Là j'ai pris plaisir à
regarder vivre les locaux et à les entendre parler. Leur langue est
agréable et ne ressemble à rien que je connaisse. Le temps qu'ils
déchargent le canoë, j'ai un peu raconté mon voyage, les coins que
j'ai préférés, ceux un peu moins, les passages face vent ou Blue
Devil Beach pleine de monde qui avait transformé la plage en dépôt
d'ordures. Kay n'en revenait pas et m'a demandé si je n’avais pas
pris de photos pour voir de qui il s'agissait. Comme le bateau
mettait du temps à décharger sa cargaison et que Kay avait de la
lessive qui attendait à la laverie (elle est venue malgré le fait
que ce soit son seul jour de repos), elle m'a laissé en compagnie de
Rex, promettant de passer dans la soirée me remettre mon sac et tout
ce que j'avais laissé à la réception.
Rex s'est proposé après
demain de me faire visiter l’île de Koror. C'est pourtant son seul
jour de repos à lui aussi. Car il me reste encore deux jours à
Palau avant de filer sur les Philippines. Il m'a dit que je le
trouverais demain au niveau de la marina à côté de l'aquarium. Je
connais bien l'endroit, c'est là où je m'étais promené le jour
précédent l'expédition. On y trouve aussi le Landmark Marina, un
resort qui a l'air très bien, en bordure de mangrove et surtout loin
de l'effervescence et des coqs et chiens de la ville. Je ne connais
par leurs tarifs mais je le conseille à qui veut venir sur Koror. Le
Lehns Motel & Apartment où je réside n'est pas mal non plus
mais j'ai demandé à avoir une chambre à l'étage, celles du rez de
chaussée étant trop bruyantes avec le personnel qui va et vient en
claquant les portes toutes les deux minutes. Par contre à l'étage
ce sont des studios avec kitchenette, pour trois personnes. Elle m'a
fait un prix, 50$ au lieu de 85 contre 40 pour la chambre du bas. Il
n'y a pas photo entre les deux et la chambre 13 que j'ai eue est très
bien et calme, donnant sur la forêt derrière (ne pas prendre celles
donnant sur la rue, très passagère).
Peu de temps après Kay
m'a appelé me disant que l'office était fermé, que c'est dimanche,
qu'elle n'a pas la clef et qu'elle passerait demain matin après 8
heures si cela ne me dérangeait pas trop. J'avais tout ce qu'il
fallait avec moi, seul point noir l'ordinateur que je voulais
utiliser au plus tôt pour taper ce que j'avais noirci sur le cahier.
Dur boulot qui m'attend. Ce soir je suis vanné, aussi je suis allé
au lit rapidement, profitant d'un bon matelas. Je redescends
progressivement sur ce monde...
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