J'éviterai de dormir à
l'avenir dans une forêt sous des eucalyptus. C'est trop humide et
j'ai eu froid dans la tente. Un jour j'ai chaud, un jour j'ai froid,
il y a de ces fluctuations thermiques ici, c'est fou. Du coup en
prenant la route le long de la côte est, j'ai eu dans l'idée de
m'arrêter quelque part acheter des fringues discount dans le but d'y
débusquer un polaire. Je suis entré dans un de ces bazars qui
vendent tout mais rien, que des conneries. J'en suis ressorti pour
jeter mon dévolu sur un magasin de fringues qui se disait discount,
tenu par un vieux monsieur ayant dépassé allègrement l'âge de la
retraite. Son truc était à son image : poussiéreux. Et avec
que des horreurs à 30 euros pour la moins chère. Pour la peine, je
me suis abstenu et je l'ai laissé dans son fourbi aux petites
culottes de grand-mère.
Après ça a été la
croix la bannière pour trouver un signal internet. J'ai fait des
allées et venues dans la ville de Saint Helens, l'ordinateur ouvert
sur les genoux, à regarder les spots WIFI disponibles, comme un
chercheur d'or. Non seulement c'est dangereux car je regarde mes
genoux mais en plus je suis obligé de rouler à vitesse d'escargot
si je ne veux pas en rater un. En Nouvelle-Zélande c'était plus
simple, j'avais pris un accès chez Zenbu et j'avais les adresses de
leurs sites dans tout le pays, ce qui était pratique. Ici rien de la
sorte. J'ai donc fini dans un centre Internet, en amenant mon
ordinateur. C'est ce qui reste encore de plus pratique. J'en ai
profité aussi pour réserver une excursion pour après demain sur
Arthur River, dans le nord ouest de la Tasmanie. Je n'en dis pas
plus. Oui je sais, c'est à l'opposé de là où je me trouve. Mais
j'ai encore demain pour relier les deux points.
Avec toutes ces affaires
qui prennent du temps, trop de temps, il était midi et je n'avais
encore rien fait. J'ai pris un sandwich et j'ai quitté cette ville
de Saint Helens pour me rendre à Bay of Fires, à une vingtaine de
kilomètres de là. C'est une suggestion de mon guide sur la Tasmanie
qui m'a amené là, alléché par le fait que ça figure dans les 21
choses à ne pas manquer. Voici ce qu'ils en disent : « With
dazzling white sands and aquamarine seas, there's a touch of the
tropical about these pristine beaches. Empty powder beaches and clear
turquoise seas are guaranteed in front of the most idyllic bushcamps
on the coast ». On est obligé d'aller y jeter un œil quand on
lit ça !
Bay of Fires est un
paradis pour les campeurs. Des caravanes, principalement, qui
viennent sans doute passer tout l'été ici. Les gens ont recréé un
chez eux, avec un coin salon abrité par une bâche, des paravents,
des blocs de cuisson comme une vraie cuisine, des transats... Bref
tout le confort avec la vie en plein air. L'idéal. Toute la côte
est pleine de campeurs comme ça mais comme c'est boisé, on ne les
voit pas, ou alors ils sont derrière la dune donc ils ne dénaturent
pas le paysage. Je comprend bien pourquoi ils sont là, la côte est
comme sur la brochure : des plages de sable blanc et de l'eau
turquoise comme aux tropiques, des criques aux eaux translucides
entourées de rochers dodus qui pourraient faire penser qu'on est
quelque part dans la méditerranée, des lagunes aux eaux oranges,
des pins, des eucalyptus, il y en a pour tous les goûts. La route se
termine en cul de sac au niveau de The Gardens, en haut d'une
colline. Il y a là une dizaine de privilégiés dont leur maison
d'architectes ouvertes sur la mer bouchent la vue. Malgré tout, j'ai
réussi à me frayer un chemin vers la plage, en longeant une clôture
de fils barbelés, mais je n'ai pas eu la vue d'oiseau qu'ils ont.
Voleurs de vue !
The finger! |
Quand je suis rentré de
la balade, le propriétaire m'attendait en tong et bermuda, une tasse
de thé à la main. Je ne sais pas si c'était un hasard, s'il se
baladait dans son jardin ou s'il était là car il avait entendu du
bruit, car il a été gentil avec moi. Il m'a juste demandé si
j'étais en vacances, m'a dit que c'était une belle journée et
d'aller voir aussi un peu plus loin, au niveau d'une lagune où l'eau
est chaude et parfaite pour se baigner. Je ne sais pas si c'était
une manière détournée de me demander de ficher le camp alors je
l'ai remercié et je suis allé voir.
C'est perché en haut
d'un rocher occupé à prendre des photos que je l'ai vu arriver avec
sa serviette et il a piqué une tête dans un eau saumâtre qui ne me
disait rien. En ayant de l'eau à la cheville on ne voit déjà plus
ses pieds. J'ai essayé de me baigner dans une crique que j'ai
dénichée un peu plus tard, Sloop Reef, mais il y avait un fort
courant et plein de méduses sur la plage.
Pas de box jellyfish, des
normales, comme en Atlantique, des tas flasques et rosés à certains
endroits. Quand j'ai barboté un moment j'en ai vu aussi entre deux
eaux. Cela n'empêchait en tout cas pas deux gamins sans combinaison
de passer l'heure où j'y étais à s'amuser dans les vagues avec
leurs planches. A la place j'ai préféré faire une sieste. Cette
fois j’avais prévu toute la panoplie de plage, paréo et tutti
quanti. Les rochers que l'on voit un peu partout sont couverts d'un
lichen orange, ça donne de belles couleurs au paysage, tranchant
avec le bleu sublime de la mer.
J'aurais pu y rester
longtemps, ça fait partie de ces paysages où le temps semble s'être
arrêté, où l'on se sent hors du monde et où rien ne peut nous
atteindre. Quand j'ai émergé il était 16h30, déjà bien tard vis
à vis de mon programme de demain qui consiste à me rendre au parc
de Craddle Mountain, dans le nord-ouest. Aussi j'ai de la route à
faire car c'est loin. J'avais envisagé de dormir à quelques 200
kilomètres de là. Un programme ambitieux mais jouable, vu qu'il
fait nuit à 21 heures. Je n'avais juste pas prévu que la route est
un lacé non stop, ça monte, ça descend, ça passe à travers des
forêts magnifiques et épaisses, pleines de fougères arborescentes.
Et je conduisais là dedans comme un dératé, m'en voulant de ne pas
avoir le temps pour profiter du paysage comme il se doit.
La route était jonchée
d'opossums et de kangourous écrasés, les petits à oreille de
souris. Quel désastre ! J'ai même cru déceler des diables de
Tasmanie dans l'hécatombe, des bestioles toutes noires et moins
grosses qu'un opossum. Les villages que je traversais sont figés des
siècles en arrière, des vieilles guimbardes rondes en guise de
pick-up, des maisons de bois vermoulues et couvertes de lichens qui
pendent du toit, avec des fenêtres guillotine entourées d'un jardin
plein d'immondices, de trucs rouillés et de caravanes qui n'ont pas
dû rouler depuis bien longtemps si l'on en juge les roues crevées.
Un paysage de chercheur d'or. Vue la vitesse à laquelle j'avançais
j'ai bien pu observer. En chemin j'ai traversé une ville plus
importante, quelque milliers d'âmes probablement, Scottsdale, que
j'ai rejoint en 1h30 depuis Saint Helens. 100 kilomètres en 1h30,
c'est une catastrophe. En fait il y a deux routes pour aller à
Launceston et je pense avoir pris la pire. Sans doute la plus jolie
mais sûrement pas la plus rapide. D'ailleurs je n'ai croisé pour
ainsi dire personne, à part un ou deux camping-cars de ci de là.
Du coup j'en ai profité
pour m'arrêter à un supermarché rutilent, grand avec plein de
trucs, même un rayon alimentation biologique. J'ai fait des courses
pour pique niquer ce soir car Launceston est une assez grande ville
dans laquelle je ne veux pas m'emmancher. Seulement, même en voulant
faire rapide, je suis ressorti de là une demie heure plus tard. Il
était presque 19 heures, cela me semblait être de moins en moins
faisable mon truc, d'autant plus que les routes de montagne ont
recommencé partant à l'assaut de collines et de forêts. Il y avait
plein de pistes en gravier qui en partaient. Jugeant que l'endroit
était l'idéal pour passer la nuit, je me suis arrêté là. Inutile
de poursuivre plus loin où je risquais de tourner des heures dans
des plaines clôturées à chercher un endroit où me rabattre. Il y
avait plein de kangourous qui traversaient la piste, effrayés par le
bruit du moteur. Ils sortaient des fourrés comme un gag, en
sautillant allègrement. Ils pullulent par ici, je crois bien que le
kangourou est le lapin australien !
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