La route pour Kings Canyon |
Le matin, aux premières
lueurs du jour je fonce sur l'ordinateur écrire mes mémoires.
Certains jours c'est fastidieux et je me force un peu mais je me sens
devoir le faire, avant tout pour laisser une trace de ce voyage. Je
tape à peu près une page par heure, c'est lent. Parfois j'aimerais
écrire plu vite mais je ne peux pas aller au delà de cette cadence
car je suis un dyslexique du clavier. Tous les trois mots j'ai une
lettre qui vient avant ou après ce qu'elle devrait alors je dois
ensuite repositionner tout ça. Si vous constatez encore des
coquilles que je n'aurais pas dépistées à la relecture, c'est dû
à ça.
Tandis que j'écrivais,
j'avais de la compagnie tout autour de moi : des lapins qui
tendaient le cou et montaient sur leurs pattes arrière en frémissant
des narines manquant parfois tomber en arrière, des oiseaux qui
profitaient de l'aubaine des lumières qui étaient restées allumées
toute la nuit, en faisant un bond juste de ce qu'il faut pour pincer
dans leur bec une éphémère qui passait lentement, fatiguée de
s'être battue toute la nuit avec la lampe. C'est l'heure aussi des
perroquets roses. Ils arrivent en bande criarde tous les matins et
soirs, des centaines d'un coup pour aller brouter à côté de ma
tente qui est jonchée de merdes blanches de perroquets. C'est
malin !
Ce matin j'ai levé le
camp, direction Kings Canyon, dans le parc national Watarrka. Sur la
carte ça a l'air tout proche ; en ayant quitté Ayers Rock,
beaucoup moins. Un panneau indique que c'est à plus de 300
kilomètres. Bref avec mes 100 kilomètres par jour, c'est clair que
je vais avoir un supplément colossal, sans doute le double de la
location prévue. Je le redis, c'est du vol, j'ai regardé mon bon de
réservation, c'est marqué nulle part qu'on était limité à 100
kilomètres, pas plus qu'une quelconque mention de kilométrage
illimité. Dans un pays aussi grand que l'Australie c'est une
ineptie. Pourquoi ne pas limiter non plus à 10 kilomètres ? En
attendant j'ai décidé de ne plus stresser avec ça, ce sera à
mettre au compte des pertes et profits.
Il faut être en forme
pour parvenir à Kings Canyon. Une route toute droite avec de la
végétation rabougrie. C'est toujours pareil. La seule distraction
c'est de regarder le compteur pour voir le nombre de kilomètres
restants. La route c'est mortel pour moi. Au bout de quelques
kilomètres ça m'endort. Rien à voir avec une quelconque fatigue,
c'est juste que regarder droit devant avec des pointillés au milieu
qui défilent ça m'hypnotise et je sens les yeux se mettre à
loucher. Je me redresse alors sur le siège, ouvre une fenêtre,
monte le volume de la radio. Rien n'y fait, je somnole. Toute la
route ça a été ça, à me donner des gifles pour rester éveillé.
Parfois la voiture n'allait plus très droit, parfois la vitesse
descendait, mon pied se décrispant de la pédale, ou encore je me
mettais à avoir des pensées absurdes qui relevaient plus du rêve.
Je ne pourrais pas traverser l'Australie du sud au nord comme ce que
beaucoup de personnes font. Ou alors je finirais le parcours dans une
boîte en bois confortable.
En chemin on longe un
nouveau monolithe, plus large qu'Uluru et plus régulier aussi.
Prenez une montagne normale, coupez la à la base et vous obtiendrez
Mount Connor et ses 859 mètres. Malheureusement comme cette montagne
est assez éloignée elle était dans la brume et la photo est trop
dégueulasse pour daigner figurer ici. Juste avant il y a Curtis
Springs, que j'ai dépassé allègrement avant de m'en rendre compte.
J'ai dû pilé. C'est un endroit poussiéreux aux buissons qui
roulent, figé dans les années 60, avec des bornes d'essence d'un
autre temps verrouillées avec un cadenas. C'est la seule station
service du secteur avant 300 kilomètres. Il ne faut pas la rater !
Elle fait tout : bar, restaurant et même camping. C'est le
far-west à l'australienne. Je m'attendais à voir un personnage haut
en couleur venir me servir, au lieu de ça j'ai eu une petite jeune
joviale qui m'a demandé où j'allais.
Un job de vacances sans doute,
autrement ici à l'année, ce n'est pas un endroit pour elle, il y a
de quoi devenir fou. De la savane sans aucune attraction. Pas un
monolithe, pas un relief à observer, que de l'herbe et des arbres
rachitiques. Pour égayer ses journées elle a devant sa caisse un
poster de chameaux en train de copuler en rigolant.
Heureusement que je ne
fais pas le trajet après une pluie subite, comme ça aurait pu être
le cas il y a deux jours, car juste avant d'arriver à Kings Canyon,
on traverse des « creeks », des cours d'eau qui
traversent la route quand ils veulent. Il y a sur leur côté des
mats gradués qui montent à deux mètres pour mesurer le niveau de
l'eau. S'ils ont prévu deux mètres c'est que ça doit arriver.
Inutile de dire qu'on ne peut alors pas traverser. Aucune
signalisation de sécurité n'est indiquée, pas même une limitation
de vitesse. Même si aujourd'hui il ne devait y avoir que 10
centimètres d'eau, ça fait bizarre de traverser un truc comme ça à
80 à l'heure. On a l'impression qu'on va y laisser les roues !
L'arrivée dans le parc
national ne casse pas des barres, pas plus que celle pour Kings
Canyon. Ici pas de centre des visiteurs, pas de péage, on va on
vient comme on veut. Le centre d'information est formé juste de deux
panneaux sous un auvent et démerde toi. Il était 13h30 quand je
suis arrivé au parking, juste au moment où le ciel se dégageait. A
l'observation du sens des nuages, le soleil n'allait pas tarder à
faire son apparition. Pendant ce temps là j'ai mangé le même pique
nique qu'hier, n'ayant rien acheté en route car n'ayant rien trouvé.
Comme pour ce que j'ai déjà vu jusqu'à présent, des français en
veux tu en voilà, qui voyagent en campervan. Des allemands aussi qui
voyagent de la même façon. Il y a plus de vans que de voitures,
avec ma petite voiture japonaise, j'ai l'air d'une fourmi à côté.
Je suppose que tous ceux qui sont là font le fameux road trip dont
je parlais, Melbourne-Darwin ou Perth-Darwin. Il paraît que c'est
une expérience mémorable. Pour qui aime conduire.
Moi je préfère
l'avion et mes 300 kilomètres de voiture. Et je suis sûr que j'ai
été déposé au plus intéressant. J'ai lu sur des forums que pour
beaucoup les temps forts de leur voyage en Australie c'était Ayers
Rock et Kangaroo Island. Cette île située à côté d'Adelaïde est
un sanctuaire de vie sauvage. On est sûr d'y croiser kangourous,
koalas, ornithorynques, morses, émeus, pingouins et mammifères
marins. Je sens que je vais y faire un saut après la Tasmanie, je
dois bien avoir un vol Hobart/Adelaïde. Ce sera pris sur mon séjour
dans le Queensland qui se réduit de jour en jour. Au final je compte
juste y faire un saut dans l'endroit phare, au Whitsundays. Une
semaine ce sera bien assez, et vu que l'excursion dure un jour, sur
une semaine avec un peu de chance j'aurai bien un jour de soleil.
Sinon je passerai une semaine sous la flotte mais ça vaut mieux que
trois semaines comme ce que j'avais prévu à la base.
En plus
Adélaïde est la région la plus sèche de toute l'Australie.
D'ailleurs dans les idées de parcours du Petit Futé, ils ont un
itinéraire avril à octobre et novembre à mars et la différence
est qu'ils ont remplacé dans ce dernier le Queensland par Kangaroo
Island. Je vais suivre leur conseil. Je reviendrai dans le Queensland
lors d'un prochain voyage dans une saison plus propice.
Après le pique nique
j'ai commencé les choses sérieuses et entrepris une randonnée dans
le canyon. Deux choix sont possibles : une randonnée d'un heure
qui reste au fond du canyon et mène au bout ou une randonnée qui en
fait le tour par le sommet, sur plus de 6 kilomètres et 3h30
annoncés. Comme le soleil était de la partie j'ai tout de suite
attaqué par ce qui me semble le mieux de Kings Canyon, laissant des
bribes pour occuper les autres jours. Dans ce pays on ne sait jamais
si le beau temps va durer alors il faut en profiter !
Juste
après avoir quitté le parking j'ai vu quelqu'un à quatre pattes
qui prenait des photos. Il y avait là un gros reptile tout en
finesse, au long cou et aux longues pattes, moucheté blanc et noir
avec une petite tête. Un lézard girafe, c'est comme ça que je
l'appelle. On aurait dit un truc de dessin animé. La femme qui
prenait aussi des photos commentait : « so cute ».
J'ai alors réalisé que c'était la même que le couple qui m'avait
posé un lapin deux jours plus tôt. J'ai fait comme si je ne l'avais
pas reconnue et elle aussi, faisant quelques pas de côté et
regardant son appareil comme pour ne pas affronter mon regard. Ils
pensaient certainement ne jamais me revoir et avaient dû me poser un
lapin préférant rester seuls ce que je comprends parfaitement.
Il y a un truc qui me
surprend en Australie : il n'y a pas de poubelles. Et dans un
parc national c'est d'autant plus étrange, ça ne pousse pas à
laisser la nature propre.
Autant en Nouvelle-Zélande il y en avait
partout, là j'ai dû marcher avec les restes de mon pique nique
jusqu'aux toilettes pour aller dans celles des femmes afin de tout
jeter dans la petite poubelle à tampons usagés. D'autres
visiblement avaient eu la même idée, on y trouvait même une
vieille paire de godasses. A propos de chaussures j'ai attaqué la
randonnée à nouveau en tong, tandis que les autres ont de gros
godillots qui montent au delà de la cheville. L'ascension en haut du
canyon est un peu éprouvante, ça grimpe sec et ils ont construit
des marches dans la roche rouge. Le paysage devient magique à mesure
qu'on prend de la hauteur et qu'on progresse vers le fond du canyon.
C'est encore plus beau que ce que j'ai fait hier. Kings Canyon est un
canyon rouge de presque deux kilomètres de long qui forme une
profonde faille de plus de 200 mètres de hauteur au milieu du
désert. L'Australie a son Colorado. J'avais l'impression d'y être.
Tout le temps où j'ai fait la randonnée je n'arrêtais pas de
penser à ce type qui était parti seul comme moi randonner dans le
Grand Canyon et qui était tombé dans une faille, restant 3 jours le
bras coincé sous un rocher qu'il avait été obligé de s'amputer
lui même pour survivre. Ils en ont tiré le film « 72 heures »
que j'ai vu au cinéma l'année dernière. Cela pourrait tout aussi
bien m'arriver. Ce qui me sauve c'est que je suis sujet au vertige,
aussi je ne m'approchais pas trop du bord pour regarder le bas du
canyon. Et puis on ne sait jamais, peut être que sous les
promontoires il y a du vide et que quelques kilogrammes suffisent à
faire se décrocher la dalle.
Le parcours est splendide
et révèle à chaque pas de nouveaux paysages. Quand on s'éloigne
du canyon c'est pour cheminer autour de drôles de dômes qui
semblent constitués par un empilement d'assiettes, à d'autres
endroits on descend par des ponts suspendus dans des gorges avec des
palmiers, des plans d'eau et des cascades.
Je n'avais qu'une petite
bouteille d'eau d'un demi litre, pensant trouver des points de
ravitaillement sur le parcours comme à Kata Tjuta. J'ai fini
déshydraté, la gorge brûlante, à ne pas pouvoir déglutir. Le
parcours est bien plus difficile que celui d'hier, peut être parce
qu'il faisait plus chaud. Il semble beaucoup plus long, interminable
même. Un moment, n'en pouvant plus, je me suis allongé sur une
pierre plate, chaude et rouge et j'ai songé qu'on était le 12
janvier, que j'avais chaud, que j'étais bien même si déshydraté
et j'ai savouré ma chance d'être ici, à l'autre bout du monde et
au fin fond de l'Australie. Chaque fois quand je suis de retour d'un
voyage, face à l'horreur de la vie quotidienne, je pense que je n'ai
pas assez profité des moments d'exception passés sur place, pris
dans la frénésie de la découverte. C'est pour cela que je
m'accorde des moments comme ceux là, pour souffler et méditer,
m'imprégnant des choses.
Une fois fait, j'ai repris la marche
rapidement car c'était une course contre la montre pour trouver un
point d'eau au parking avant que je ne finisse tout sec comme un
lézard desséché. Il m'aura fallu quatre heures pour faire le tour
de Kings Canyon, la meilleure randonnée que j'ai faite de tout mon
voyage, en omettant l’ascension à Maupiti qui se joue dans un
autre registre.
Ce qui manque sur le
parking, hormis les poubelles, c'est une buvette ! J'avais une
envie de bière fraîche, au lieu de cela j'ai dû me contenter de
l'eau de la fontaine. J'en ai bu un litre sans m'arrêter. Et la soif
m'a poursuivi jusqu'au moment de me coucher sous la tente. Dans les
derniers kilomètres de la randonnée j'avais faim aussi et une envie
irrésistible du poisson à la crème vanillée que Justine nous
servait à Tikehau. Je ne sais pas pourquoi ce goût m'est revenu à
la bouche mais c'est vrai que son plat était un régal. Chaque fois
je me resservais. Elle nous l'avait servi deux fois dans le séjour.
Un dingo |
Ce soir je me suis
installé au camping du Kings Canyon Resort, un copier/coller que
celui que je viens de quitter à Ayers Rock, même formule, même
prix, sans doute les mêmes propriétaires. Ma tente est la seule du
camping, tous les autres sont en van ou camping car. Je me suis mis
le plus loin possible de leurs portes coulissantes, mettant la
voiture en travers pour faire mur antibruit. Et je n'ai pas tardé à
aller me coucher, dès 20h30, après avoir pris un copieux dîner au
seul restaurant du resort. Une folie. Et j'ai dormi comme un loir
jusqu'à 1 heure du matin où des clebs jouaient au talkie-walkie à
se répondre. Ce n'était pas des dingos, il y avait un aboiement de
crécelle de petite merde que je suis allé courser pour le faire
déguerpir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.