A la tombée de la nuit
et lorsque les premières lueurs du jour pointent, la forêt s'anime
de cris d'oiseaux qui ressemblent à ceux de singes. C'est très fort
et fait des « Ouh ouh ouh ». On dirait qu'ils
s'engueulent, ils se répondent les uns les autres. J'ignore ce que
ça peut être, ils sont tout au sommet des hauts eucalyptus et la
journée on ne les entend pas. Toujours pas de koalas au passage. Ce
n'est pas faute de me dévisser la tête chaque fois que je vois une
nouvelle espèce d'eucalyptus. En principe ils devraient m'attendre à
Kangaroo Island. Un peu de patience !
Tous les matins c'est
l'automne : je me lève dans des nappes de brouillard à couper
au couteau qui ruissellent sur la toile de ma tente. Comme j'ai
l'habitude de foutre le camp au petit jour, chaque fois je dois
mettre la tente trempée dans la voiture qui sèche ensuite comme
elle peut. Pour une réputation de temps imprévisible en Tasmanie,
pour l'instant la météo a tout bon.
Aujourd'hui est un deuxième
jour de beau temps comme ce que la météo avait prévu. Il faut en
profiter, il n'en reste plus que deux. Comme je me suis arrêté loin
de mon point prévu hier soir, j'ai pris la voiture très tôt, tous
feux allumés à travers la brume. Ce qui est amusant c'est qu'elle
n'est pas présente partout, il y a des vallées complètement
dégagées et ensoleillées alors que d'autres restent dans le
brouillard qui devient nuages jusqu'à des 10 heures le matin. Bien
souvent il suffit de passer un col pour changer de climat.
Le parc national de
Cradle Mountain est célèbre dans toute l'Australie pour ses
paysages alpins spectaculaires et ses sentiers de montagne que l'on
ne peut rencontrer qu'ici. C'est dans ce parc que que l'on trouve le
plus haut sommet de Tasmanie, le mont Ossa, avec 1617 mètres.
Le
parc est aussi l'endroit le plus visité de Tasmanie avec le parc de
Freycinet. Je l'ai visité par sa section nord, la plus facile
d'accès. Quand on arrive, il y a un grand parking et un centre des
visiteurs où il faut acquérir un passe qui donne ensuite le droit
de prendre une navette qui dépose à différents endroits dans le
parc. Je suis allé directement au bout, aux abords du lac Dove. De
là partent de nombreux sentiers de randonnée qui ne facilitent pas
le choix. Comme toutes les familles font le tour du lac, j'ai décidé
de prendre le sentier le plus difficile des alentours, certain d'être
tranquille. C'est celui qui monte en une heure au Marion's lookout,
surplombant toute la région du haut de ses 1200 mètres. Mais avant
il faut écrire son nom sur un registre et signer quand on revient.
Je suppose que cela permet aux gardes de savoir qui n'est pas rentré
et d'appeler les secours en conséquence. Il y avait un cahier et 20
personnes à faire la queue. Vue la journée radieuse qui s'annonçait
et le fait qu'il y a de nombreux visiteurs, je ne vois pas pourquoi
il m'arriverait quelque chose aujourd'hui plus que les autres fois,
je ne me suis donc pas déclaré. La randonnée au point de vue est
en rouge sur les panneaux du parc, avec la mention « Difficult,
steep, rough and subject to weather ». De quoi dissuader bien
des gens mais pas moi.
Lac Dove depuis Marion's lookout |
Pour le coup je n'ai pas
croisé grand monde, comme ce à quoi je m'attendais. A part un
couple dont la fille s'arrêtait tout le temps, courbée les deux
mains sur les genoux pour reprendre son souffle. J'ai doublé tout ça
allègrement. Ce sont les nerfs qui me tiennent. Je me refuse à
m'arrêter ou à ralentir la cadence avant d'être au sommet où
j'aurai tout le temps pour récupérer. C'est comme ça que je
fonctionne. J'ai un bon cœur, je suis endurant et la volonté fait
le reste. Je suis sûr que je battrais tout le monde aux épreuves
finales de Pékin Express. J'explose toutes les durées prévues sur
les pancartes. Du coup cela me permet de caser plus de randonnées.
Le sentier n'est pas une partie de plaisir. Ça grimpe sec tout le
long, sans faux plat pour récupérer, j'étais parfois obligé
d'appuyer sur mes genoux pour trouver la force de grimper un passage
un peu trop escarpé. Ils ont mis aussi de nombreuse chaînes d'acier
pour aider à se hisser. Ça aide pas mal. En fait il y a un passage
plus facile pour accéder au point de vue mais il faut le double de
temps.
Lac Liila |
La vue du point de vue
valait le déplacement. Même si la région n'est pas très
montagneuse (on ne peut pas parler de pics comme dans les Alpes ou en
Nouvelle-Zélande), on a une vue sur les vallées et les nombreux
lacs glaciaires tout autour, sans oublier au fond les Cradle
Mountains, des espèces d'aiguilles que l'on voit dès que l'on
pénètre dans la vallée et qui culminent à 1545 mètres. En
descendant, j'ai choisi le sentier qui passe le long du lac Lilla,
niché au cœur de forêts d'eucalyptus, d'où part un ruisseau qui
forme par endroits de petites cascades tout ça au milieu d'une
végétation dense et moussue. Un vrai bol de fraîcheur bienvenu
après l'ascension au point de vue. La fin du sentier avant d'arriver
à Ronny Creek traverse des paysages de tourbes et de prairies
humides d'où émergent de drôles de palmiers. Le sentier laisse la
place à un ponton de bois grillagé sur sa surface pour éviter de
déraper lorsque le temps est humide.
C'est un vrai boulot que de
construire ça, il y a un clou de chaque côté sur chaque latte. Je
marchais là dessus l'air de rien, mais j'ai réfléchi au temps
qu'il a fallu à toutes ces petites mains pour assembler et clouer au
marteau chaque centimètre que j'enjambais. C'est un peu comme les
traverses des rails, c'est un boulot de titan !
Le sentier continue ainsi
jusqu'au centre des visiteurs, sur 5 kilomètres et demi et traverse
des bois d'eucalyptus dont certains sont morts. Ça donne des
paysages étonnants. Je conseille de s'arrêter à Snake Hill et
d'attendre la navette de retour : la section d'après de 3,5
kilomètres perd la vue sur les Cradle Mountains et n'offre rien de
nouveau . Qui plus est elle m'a valu la formation d'ampoules !
Il paraît qu'au cours de la balade j'aurais pu voir plein de bêtes
comme des diables de Tasmanie, des wombats et des echnidas, sorte
d'hérissons avec un long museau qui ressemble à un bec.
Mais tout
ce petit monde se balade la nuit. Je sens que ça va faire comme le
coup du kiwi, je vais finir par craquer et aller voir un zoo. Le parc
organise d'ailleurs des visites guidées à la tombée du jour pour
aller voir les diables de Tasmanie. Mais vu que le parc est loin de
toute ville et qu'il n'y a pas d'endroits où camper aux alentours
(officiellement), je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de monde à
ces sorties, à part peut être les pensionnaires du seul hébergement
du parc. Cela aurait pu être un bon point de chute du reste mais
avec les vacances scolaires, ce n'est même pas la peine d'y songer,
le moindre truc déglingué arrive à afficher des « no
vacancy ».
Une fois que j'ai fini
mon pique nique sur le parking, il était près de 15 heures et
j'avais encore beaucoup de route à faire avant d'arriver le plus
près possible d'Arthur River. Alors que je roulais sur la route A10
qui traverse la Tasmanie du nord ouest jusqu'à Hobart, je me suis
retrouvé un moment déporté sur le milieu de la route, occupé à
prendre une photo de la route très belle qui passait au milieu de
hauts arbres rectilignes. Sauf qu'au même moment j'avais en face une
voiture de flics. J'ai regardé dans le rétroviseur et ai constaté
qu'ils avaient freiné brusquement. Je les ai vus faire demi tour et
mettre leurs gyrophares. Mon compte était bon!
Je venais juste de me
siffler une bière à l'entrée du parc en plus. J'ai donc pris une
pastille au menthol et bu beaucoup d'eau en prévision d'un contrôle.
Je ne sais pas à combien est la limite, je n'avais bu que 30 cl de
bière mais vu que c'était 10 minutes avant je ne sais pas si ça
suffit à se retrouver en tôle ! Et pour la photo, j'avais un
bobard tout trouvé du style que je changeais la batterie de
l'appareil photo. J'ai eu des appels de phare m'invitant à
m'arrêter. Je suis resté détendu, calme et souriant et ai donné
mon permis de conduire comme ce qu'ils me demandaient. Ils m'ont dit
que j'avais commis une infraction en prenant une photo alors que je
conduisais au milieu de la route. Je leur ai répondu que j'étais
désolé, que j'étais occupé à changer la batterie et que cela
n'avait pris que quelques instants mais comme la route est instable,
je me suis retrouvé déporté une fraction de seconde. Le bobard a
pris car ils m'ont dressé une contravention barrée avec mention
« caution », en guise d'avertissement. J'ai échappé à
140 dollars d'amende. Motif : « drive without due care &
attention ».
Je ne suis pas tombé sur
des cons comme certains en France, ceux là était agréables et ont
discuté avec moi de choses et d'autres, que Cradle Mountain était
bien joli, qu'il faisait beau aujourd'hui, que j'avais l'air très
jeune sur la photo de mon permis, qu'en Australie ils ont un permis
de conduire valable toues les 4-5 ans qu'ils doivent ensuite
renouveler comme une carte de crédit. Ils m'ont juste demandé
d'être plus vigilant à l'avenir, ce que j'ai juré. Tu parles, 15
minutes plus tard j'étais à nouveau au milieu de la route après
avoir jeté un coup d’œil à la carte routière mais cette fois en
ayant pris soin de vérifier que je n'avais personne devant ni
derrière !
J'avais prévu ce soir de
dormir à un emplacement de camping sauvage autorisé, à Marrawah,
sur la côte nord ouest, à 15 kilomètres d'Arthur River. C'est
complètement crétin ce système de camping sauvage autorisé. A
partir du moment où ça devaient autorisé ce n'est plus sauvage du
tout et tout le monde vient s'agglutiner là. Du coup le guide que
j'ai acheté ne m'est d'aucune utilité. Le coin visé au bord de la
plage était grand comme un terrain de tennis, battu par un vent
glacial qui venait droit de la mer, plein de caravanes, de tentes, de
chiens et de gens éméchés une choppe de bière à la main. Je suis
resté juste le temps de m'enfuir en un demi tour qui leur a fait
valdinguer de la poussière dans leurs assiettes ! Du coup où
aller ? Il était 19 heures et un peu tard pour trouver une
solution de repli. Mais le plus urgent c'était de trouver une
station de service, la voiture affichant d'un signal clignotant qu'il
n'y avait plus d'essence.
Cette voiture est un vrai stress. Ça
sonne, c’est plein de messages qui s'affichent en grand dès qu'un
truc ne va pas : la ceinture de sécurité, les phares, la vitre
baissée, le frein à main... Il y a toujours un truc qui ne va pas !
Il doit même y avoir des capteurs dans les sièges car après avoir
mis mon sac et des livres sur le siège passager j'ai eu hier un
signal strident à en crever un tympan qui disait que le passager
n'avait pas sa ceinture de sécurité. J'ai beau gueuler « ta
gueule ! », ça n'y change rien ! Le jour où
j'achèterai une bagnole, je ferai bien attention à ne pas avoir ces
stupides ordinateurs de bord ou je demanderai à ce qu'ils me le
débranchent. C'est à devenir fou !
Pour l'essence,
heureusement les stations figurent sur la carte routière. Celle que
j'ai trouvée était gratinée. Un modèle vintage sorti tout droit
d'un musée, tout rouillé, qui affichait la mention anachronique
« unleaded ».
J'ai commencé à mettre la cane dans le
réservoir, j'avais beau appuyer sur la poignée rien ne venait.
Comme j'étais déjà tombé auparavant dans le désert sur une
station avec un cadenas sur la pompe, je suis allé voir à
l'intérieur pour demander si la pompe fonctionnait. Quel intérieur !
Un truc tout sombre qui vend de tout. Il faut dire c'est le seul
commerce à la ronde. Marrawah est un village de pécheur qui
pourrait faire penser qu'on est arrivé en Alsaka ou en Islande, avec
des maisons en bois aux vitres poussiéreuses juchées au sommet de
collines couvertes de prairies à vache. Maison qui se résument à
une dizaine. Je crois que je suis arrivé dans le trou du cul de la
Tasmanie, pardonnez moi l'expression. La « boutique » de
la « station-service » fait aussi poste, librairie, bazar
et magasin d'habillement. La tenancière, petite vieille joviale, m'a
appuyé sur un bouton pour me permettre d'aller prendre de l'essence.
Sauf que ça ne fonctionnait toujours pas. J'ai alors repéré une
manette sur l'engin, une poignée qui ne demande qu'à ce qu'on la
tire. J'ai essayé, j'ai alors entendu un glou-glou arriver et j'ai
vu à travers une bulle de plastique transparente un truc tourner,
comme un moulin à eau mais avec du carburant qui coulait. Quel
système ! Quelqu'un a-t-il déjà connu ça ? Au moment de
payer, j'étais étonné qu'elle prenne la carte bleue. Elle m'a
demandé combien ça faisait. Évidemment ces systèmes ne sont pas
reliés à la caisse. J'ai donc à nouveau traversé sa boutique
toute en longueur comme un couloir d'hôpital pour lui dire le
chiffre, que j'aurais tout aussi bien pu retravailler à ma façon.
A une autre époque qui n'a pas beaucoup changé! |
De ce que j'ai vu de la
Tasmanie, ce n'est pas bien moderne. Il n'y a que des vieux, les
jeunes ayant à mon avis fuit au loin cette terre sauvage et glacée
l'hiver, où rien ne se passe. En plus avec Melbourne juste en face,
je suppose qu'ils y sont tous. Pour internet, j'ai réussi à en
trouver au fin fond des Îles Cook et des Fidji, ici c'est mission
impossible. Je passe des heures dans chaque ville à la recherche
d'un signal. La dernière fois c'était à Wynyard dont le point sur
la carte était un peu plus gros que les villes alentours. J'ai fini
à aller demander à l'office du tourisme où trouver internet. Je
suis tombé sur deux vieux agents qui se sont regardés interloqués.
Visiblement je leur posais une colle. Je crois qu'en Tasmanie la
retraite n'existe pas ou alors tout bonnement comme il faut des gens
pour faire tenir les choses, ils sont bien obligés de s'y coller.
J'ai été invité à me rendre à la bibliothèque de la ville. Sauf
qu'elle fermait 15 minutes plus tard et que la préposée ne m'a
laissé que 10 minutes, insuffisant pour mettre le blog à jour.
Aussi j'en ai marre : le blog sera mis à jour quand je pourrai,
c'en est fini de courir après internet, j'ai autre chats à
fouetter. Ou de diable... Encore faudrait il qu'il montre sa queue!
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