La Western Explorer est
une piste non goudronnée qui relie le nord ouest de la Tasmanie au
sud ouest au lieu de passer à l'intérieur des terres comme la route
normale. Ce sont des centaines de kilomètres dont on dit qu'ils
permettent la découverte d'une Tasmanie sauvage qui fait penser
qu'on est un explorateur. Son surnom est « The road to
nowhere ». Ce chemin est tout récent, il date de 1996. Avant
il fallait faire le tour par le nord, c'est à dire faire les 3 côtés
d'un carré alors que cette piste n'en fait qu'un. Le chemin a été
sujet à de nombreuses critiques et polémiques car il passe à
travers une zone protégée, Arthur Pieman conservation area. Mon
guide dit : « The dust-choked drive to Corinna is also,
arguably, the greatest in Tasmania ; a gloriously remote route
that leaves behind the rainforest of Arthur River to snake along the
boundary where windswept coastal heathland meets inland forest ».
J'avais bien envie d'essayer ce raccourci !
Auparavant, après la
croisière sur Arthur River, je suis retourné hier à l'office
récupérer mon ordinateur et demander à Kaye si je pouvais bien
emprunter le chemin avec ma voiture, comme ce qu'affirme le guide.
Elle a confirmé mais m'a demandé d'être prudent et de conduire
doucement. Car s'il m'arrive quelque chose, une panne ou autre, il ne
passe pas grand monde sur ce chemin. Elle m'a conseillé de prendre
beaucoup d'eau au cas où je sois en rade sur le parcours. Quelle
aventure ! Je lui ai donc acheté une grande bouteille d'eau et
une tarte au camembert pour ce soir qu'elle a fait réchauffer au
micro-onde et que j'ai placée sur le tableau de bord pour ne pas
qu'elle refroidisse.
J'ai quitté les quelques
bicoques d'Arthur River et la civilisation à 16h30, pour le meilleur
comme pour le pire. Advienne que pourra. J'ai pris mon courage à
deux mains et me suis lancé sur la piste, sans regret. Mais avec une
petite appréhension tout de même, celle de la crevaison.
Même si
j'ai une roue flambant neuve dans le coffre, il n'y en a qu'une.
Aussi au début j'étais très crispé sur le volant, la tête
penchée en avant, à scruter le moindre caillou sur la piste et à
faire la grimace dès que je cognais sur l'un d'entre eux. Impossible
de dépasser les 30 km/h. Mon but pour ce soir est d'arriver jusqu'à
Corinna, un petit village au milieu de nulle part, relié uniquement
par des pistes et un petit bac qui assure la traversée d'une rivière
et la continuité du parcours. C'est à 100 km d'Arthur River. Ils
disent sur les panneaux qu'on y est en un peu plus de deux heures.
Ici les distances s'affichent en temps : sur une piste non
goudronnée, le kilométrage ne veut rien dire.
Je me donnais pour
consigne de m'interdire de regarder le compteur kilométrique pour ne
pas déprimer, sauf une fois toutes les 20 minutes. Les 20 première
minutes, en effet c'était déprimant, je n'avais fait que 10
kilomètres. Je me suis inventé des jalons pour faire passer le
temps plus vite et dissiper un peu l'angoisse. Je me suis dit qu'une
fois que le compteur serait sur le chiffre des centaines, alors
j'aurai fait plus de la moitié du voyage. Cela voulait dire que si
je venais à crever, je n'aurais plus besoin de retourner sur Arthur
River mais juste à poursuivre mon chemin comme je peux dans la
direction prévue. Et chaque kilomètre avalé était une victoire et
ça de moins à parcourir à pied !
Derrière la voiture
d'épais panaches de poussière s'élevaient dans le ciel,
obscurcissant l'horizon dans mon rétroviseur. De temps en temps je
m'arrêtais prendre une photo et à ce moment là le nuage me
devançait et entrait dans le voiture, par la fenêtre côté
passager que je laisse toujours complètement baissée pour
m'apporter de l'air. Car il fait très chaud. Les premiers kilomètres
ressemblent à un désert de caillasse et de végétation rabougrie,
une espèce de brousse. Malgré tout, le paysage est prenant et on
se sent vraiment au milieu de nulle part, perdu dans de grands
espaces vierges donnés en pâture aux éléments et sans âme qui
vive. Tout de même, 100 kilomètres comme ça, c'est de la folie.
J'en ai déjà fait des routes en caillasse mais jamais sur autant de
kilomètres. Les cailloux n'arrêtaient pas faire du bruit contre les
roues, chassés par le mouvement de rotation. De temps en temps les
sons changeaient, un caillou suivait une autre direction, venant
heurter un conduit, une tôle ou un cylindre sous la voiture. Le
réservoir d'essence ? A chaque impact je vérifiais la jauge,
inquiet. Ce qui ne sert à rien car même si j'avais une fuite,
qu'aurais je fait ? C'était un vrai concert de musique
moderne !
Quand je pouvais
j'accélérais, m'octroyant le luxe de pousser jusqu'à 60 à l'heure
pour augmenter cette moyenne désolante. Ça ne durait jamais bien
longtemps, rapidement je rencontrais à nouveaux des ornières ou des
passages plus délicats, aux cailloux d'un plus gros calibre. Ou
alors des virages très serrés qui ne peuvent se prendre qu'à 20
km/h. D'autant plus que la conduite sur piste est très différente
de celle sur route. La voiture va où elle veut, elle suit parfois
des directions qui sont autres que celle que l'on donne au volant. La
raison est simple, c'est que les roues sont comme un aéroglisseur,
elles glissent sur la surface des cailloux et parfois elles chassent
d'elles mêmes. C'est très dangereux car s'il y a un virage en même
temps, quoi que l'on fasse on ne peut garder le cap. J'apprenais donc
à conduite différemment, au fur et à mesure, anticipant les
virages et réduisant la vitesse.
Avec toutes mes poses photos, ma
moyenne était de 30 à l'heure. Malgré cette vitesse dingue, j'ai
fini par apprécier l'aventure et à me détendre. J'avais tout le
temps devant moi et la nature en spectacle qui s'offrait rien que
pour moi. J'avais de la nourriture, de l'eau, la tente sur le siège
arrière, je pouvais donc m'arrêter quand je voulais, même si je
n'arrivais pas à Corinna comme prévu d'ici ce soir. Ce ne sont pas
les endroits qui manquent pour passer la nuit et faire du camping
sauvage! En tous les cas j'avais prévu de m'arrêter à 19 heures.
Je n'ai croisé que 3
voitures durant le parcours. Dans ce genre d'endroit les gens sont
différents et se prennent mutuellement comme des sauveteurs
potentiels, alors tout le monde se fait un petit signe de la main en
guise de bonjour ou pour souhaiter bonne chance ou bonne route. Je me
suis arrêté 3 heures après être parti. 3 heures pour 100
kilomètres, il ne faut pas abuser des bonnes choses !
Et
d'après la carte je n'étais plus qu'à quelques kilomètres de
Corinna. Surtout j'ai trouvé un superbe coin où passer la nuit, en
surplomb de la Savage River, avec un petit renfoncement pour cacher
la voiture où des gens avaient précédemment campé si l'on en
jugeait les restes de feux de camp. Alors que je montais la tente une
voiture est arrivée de l'autre direction. Je me suis fait petit, me
cachant au ras des fourrés pour ne pas me faire remarquer. Elle a
voulu se garer là mais est allée ailleurs dès qu'elle m'a vu. En
est sorti une famille entière avec 2 gosses tout hurlements dehors.
J'avais peur qu'ils ne viennent camper eux aussi mais ils ne sont
venus que pour pécher et essayer d'attraper de l'or à travers leurs
tamis. Une heure plus tard ils repartaient et le silence reprenait
ses droits. Un univers de glou-glou, de chants d'oiseaux, de
bruissements du feuillage sous le vent et d'abeilles qui passent.
Quand on arrive à
Corinna, le paysage change encore. On se croirait à présent dans
l'ouest canadien, avec des sapins très hauts, des lacs et un village
de pionniers venus chercher de l'or en 1850. Reste leurs maisons de
bois caractéristiques et quelques âmes qui ont racheté le village
pour le restaurer. Il y a à présent un hôtel dont les chambres
sont dans des cabanons individuels de chercheurs d'or qui s'ouvrent
sur de petites terrasses en bois vers la rivière. L'endroit a un
charme fou. On peut aussi y camper, je ne savais pas, et vu l'état
de la route, il n'y a pas grand monde : deux campervan et une
voiture plus poussiéreuse que la mienne avec une tente. Je ne
comprends d'ailleurs pas pourquoi il n'ont pas bitumé la piste,
quitte à en faire une, ils auraient pu la finir même si cela
enlèverait tout le charme de l'aventure. A moins que ce ne soit pour
éviter de l'entretenir. J'ai lu que des camions passent par là. Au
final, c'est mieux qu'il en soit ainsi, du coup on ne croise
personne.
Pour continuer le
périple, il faut prendre un bac, qui ressemble à une barge qui se
déplace et non à un bateau. C'est long pour y mettre deux voitures
et le machiniste est dans une minuscule cabine comme une grue, sur un
côté. La traversée de 20$ dure 3 minutes, à peine le temps de
faire des photos que c'est déjà fini ! La piste continue de
l'autre côté sur 12 kilomètres pour rejoindre une route. C'est la
fin de la partie la plus ardue de la Western Explorer. Je peux
souffler, la voiture roule comme avant, il n'y a plus qu'à attendre
la pluie pour la nettoyer un peu. Car je ne peux pas la rendre dans
cet état. C'est bien la première fois que je souhaite la pluie pour
quelques heures ! Le prochain village que j'ai croisé, c'est
Zeehan, une ancienne mine d'extraction d'argent. Je ne sais pas si
c'est parce que c'est dimanche mais la ville est morte. Tout est
fermé, les volets baissés et pas un chat le long de la route. Ça
fait ville de western après que tout le monde se soit fait tué par
des sioux !
En poursuivant encore, on
arrive à Strahan d'où part une croisière sur la Gordon River qui
se termine dans une baie très large et très fermée qui fait penser
à un lac. Il y avait une sortie pour 14 heures, je comptais m'y
radiner à l'improviste. Quelques kilomètres avant on aperçoit de
la route de hautes dunes qui font penser à une mini dune du Pyla.
C'est Henty Dunes qui émerge à 30 mètres au dessus du niveau de la
mer, le long de la plus grande plage de Tasmanie, Ocean Beach, qui
s'étend sur 30 kilomètres. Je me suis arrêté un instant le temps
de monter en haut pour dévaler la dune en courant les bras en croix.
Je me serais vraiment cru dans le sud-ouest, il y avait la même
ambiance, je ressentais les mêmes impressions de liberté que quand
j'y suis. Avec 28 degrés dehors c'est le temps idéal. Sauf qu'un 22
juillet, je vous défie d'aller au Pyla et d'y être seul !
A Strahan il n'y avait
pas de croisière pour l'après midi, ils l'avaient annulée faute de
participants mais il y en a une demain matin. J'ai laissé tomber,
demain je serai ailleurs. Et puis j'en ai eu une hier, il ne faut pas
abuser. Et je pense que ça doit être moins spectaculaire ici vu la
largeur de la baie, même s'il paraît que c'est un must à faire
dans l'ouest de Tasmanie. A la place j'ai préféré prendre mon
temps, passer au supermarché en prévision du pique-nique de ce soir
et je me suis arrêté prendre un burger. La gastronomie australienne
est très limitée. Elle est comme en Nouvelle-Zélande, ils adorent
les hamburgers avec frites, ça doit être inscrit dans les gènes
des anglo-saxons ! Strahan est très touristique, c'est plein de
campings, d'hôtels, de cafés et de restaurants le long de la baie.
Mais il n'y a pas beaucoup de monde. Le village a réussi à
conserver son air de village de pécheurs, il y a toujours des
chalutiers amarrés avec des mouettes qui tournent autour.
Vers 15 heures j'ai pris
la route pour Queenstown. Je comptais arriver au lac Saint Clair
d'ici la soirée, pour l'explorer en randonnée demain. Le lac est
dans le parc national de Cradle Mountain mais complètement de
l'autre côté, sur son versant sud. Seulement je me suis arrêté
tout le temps, pour des bas côtés fleuris sous des fougères
arborescentes qui laissaient passer un rayon de soleil, ou encore
pour un lac desséché et argileux entouré de montagnes qu'il était
interdit de visiter selon des grands panneaux en raison du danger.
Quel danger ? Je n'ai rien vu, ce n'est pas faute d'être monté
en haut d'une colline pour dominer la zone. Le site serait il
radioactif ? Il y a des pistes d'engins qui sillonnent la région
avec de grands tuyaux noirs sur les côtés. Ils ont l'air d'y
extraire quelques chose, mais quoi, mystère !
A Queenstown on est
plongé des siècles en arrière, les bâtiments affichent tous des
années de construction allant des années 1880 à 1900. Ils sont
tous en bois avec des porches dentelés garnis de balustrades sur
leur façade. Queenstown est une ville minière et les montagnes tout
autour sont complètement éventrées, offrant un paysage de
désolation. L'exploitation a causé la ruine des sols, lessivés par
les pluies. La région est très aride et quand on quitte Queenstown
vers l'est, j'ai été saisi par la similarité de paysage avec la
Crète. Je m'y serais cru. Même végétation éparse de pins, mêmes
rochers nus avec de la garrigue tout autour, et une montagne
granitique de 1100 mètres, escarpée, qui fait penser aux Lefka Ori.
J'ai retrouvé la Crète que j'aime tant ! A Queenstown on
trouve aussi une gare avec un train de la même époque qui servait
autrefois au convoi des minerais et dont la ligne été abandonnée
en 1963, quand la route est devenue un moyen de transport plus
économique. Tout a été restauré depuis, en 2002, pour permettre
l'exploitation d'un train touristique qui rejoint Strahan en 35
kilomètres. Les locomotives ont été requinquées et tout est
désormais rutilant.
Finalement je me suis
arrêté peu après Queenstown, au bord du lac Burbury qui disposait
d'un terrain où l'on peut camper. Tout le monde s'était agglutiné
au même endroit, j'ai trouvé une place plus tranquille, juste en
surplomb du lac dont le clapotis m'a bercé toute la nuit. Vers la
fin de la journée, tout le monde est passé par là pour aller
piquer une tête dans le lac. Ça n'arrêtait pas de parler, de
téléphoner. Je ne comprend pas pourquoi les gens ne sont bien que
dans le bruit, surtout dans des paysages comme ça, pourquoi il faut
toujours qu'ils parlent, et pour parler de quoi. Ils ont peur du
silence. C'est comme s'il allait casser quelque chose en eux. Ils ont
peur de se retrouver face à eux mêmes. Beaucoup ne supportent pas,
je le sais, il leur faut de l'agitation perpétuelle sinon ça les
angoisse. Moi ça m'apaise et me permet de me retrouver. Je ne suis
moi même que dans le silence et la nature.
Non ce n'est pas la Crète! |
Pour l'instant, de tout
ce que je vois de l'Australie, c'est un enchantement de tous les
jours. J'aime beaucoup le pays, chaque jour un nouveau paysage,
chaque jour est différent et ne se ressemble pas. La Tasmanie
surpasse tout, on y trouve de tout : des plages qui font penser
aux tropiques comme à Freycinet, des criques méditerranéennes à
Bay of Fires, des collines de pré à vaches comme en Écosse, des
montagnes, des plaines immenses qui font penser à la Patagonie, des
forêts humides qui ressemblent à l'Amazonie, des paysages de
western d'ouest canadien, des dunes de sable comme dans le sud-ouest
de la France, des garrigues escarpées comme en Crète et sûrement
encore d'autres paysages bien différents. Ce qu'on peut voir le long
de la Western Explorer est merveilleux : des paysages de
désolation font place à des forêts denses, des montagnes, et
toujours la nature à perte de vue. Moi qui ne suis pas fan des road
trips, celui ci vaut vraiment le détour, pour tous ceux qui aiment
se sentir perdu dans les grands espaces. Cela restera un des
meilleurs souvenirs de mon tour du monde.
Lac Burbury |
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