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dimanche 22 janvier 2012

Western Explorer




La Western Explorer est une piste non goudronnée qui relie le nord ouest de la Tasmanie au sud ouest au lieu de passer à l'intérieur des terres comme la route normale. Ce sont des centaines de kilomètres dont on dit qu'ils permettent la découverte d'une Tasmanie sauvage qui fait penser qu'on est un explorateur. Son surnom est « The road to nowhere ». Ce chemin est tout récent, il date de 1996. Avant il fallait faire le tour par le nord, c'est à dire faire les 3 côtés d'un carré alors que cette piste n'en fait qu'un. Le chemin a été sujet à de nombreuses critiques et polémiques car il passe à travers une zone protégée, Arthur Pieman conservation area. Mon guide dit : « The dust-choked drive to Corinna is also, arguably, the greatest in Tasmania ; a gloriously remote route that leaves behind the rainforest of Arthur River to snake along the boundary where windswept coastal heathland meets inland forest ». J'avais bien envie d'essayer ce raccourci !
Auparavant, après la croisière sur Arthur River, je suis retourné hier à l'office récupérer mon ordinateur et demander à Kaye si je pouvais bien emprunter le chemin avec ma voiture, comme ce qu'affirme le guide. Elle a confirmé mais m'a demandé d'être prudent et de conduire doucement. Car s'il m'arrive quelque chose, une panne ou autre, il ne passe pas grand monde sur ce chemin. Elle m'a conseillé de prendre beaucoup d'eau au cas où je sois en rade sur le parcours. Quelle aventure ! Je lui ai donc acheté une grande bouteille d'eau et une tarte au camembert pour ce soir qu'elle a fait réchauffer au micro-onde et que j'ai placée sur le tableau de bord pour ne pas qu'elle refroidisse.
J'ai quitté les quelques bicoques d'Arthur River et la civilisation à 16h30, pour le meilleur comme pour le pire. Advienne que pourra. J'ai pris mon courage à deux mains et me suis lancé sur la piste, sans regret. Mais avec une petite appréhension tout de même, celle de la crevaison. 
Même si j'ai une roue flambant neuve dans le coffre, il n'y en a qu'une. Aussi au début j'étais très crispé sur le volant, la tête penchée en avant, à scruter le moindre caillou sur la piste et à faire la grimace dès que je cognais sur l'un d'entre eux. Impossible de dépasser les 30 km/h. Mon but pour ce soir est d'arriver jusqu'à Corinna, un petit village au milieu de nulle part, relié uniquement par des pistes et un petit bac qui assure la traversée d'une rivière et la continuité du parcours. C'est à 100 km d'Arthur River. Ils disent sur les panneaux qu'on y est en un peu plus de deux heures. Ici les distances s'affichent en temps : sur une piste non goudronnée, le kilométrage ne veut rien dire.
Je me donnais pour consigne de m'interdire de regarder le compteur kilométrique pour ne pas déprimer, sauf une fois toutes les 20 minutes. Les 20 première minutes, en effet c'était déprimant, je n'avais fait que 10 kilomètres. Je me suis inventé des jalons pour faire passer le temps plus vite et dissiper un peu l'angoisse. Je me suis dit qu'une fois que le compteur serait sur le chiffre des centaines, alors j'aurai fait plus de la moitié du voyage. Cela voulait dire que si je venais à crever, je n'aurais plus besoin de retourner sur Arthur River mais juste à poursuivre mon chemin comme je peux dans la direction prévue. Et chaque kilomètre avalé était une victoire et ça de moins à parcourir à pied !
Derrière la voiture d'épais panaches de poussière s'élevaient dans le ciel, obscurcissant l'horizon dans mon rétroviseur. De temps en temps je m'arrêtais prendre une photo et à ce moment là le nuage me devançait et entrait dans le voiture, par la fenêtre côté passager que je laisse toujours complètement baissée pour m'apporter de l'air. Car il fait très chaud. Les premiers kilomètres ressemblent à un désert de caillasse et de végétation rabougrie, une espèce de brousse. Malgré tout, le paysage est prenant et on se sent vraiment au milieu de nulle part, perdu dans de grands espaces vierges donnés en pâture aux éléments et sans âme qui vive. Tout de même, 100 kilomètres comme ça, c'est de la folie. J'en ai déjà fait des routes en caillasse mais jamais sur autant de kilomètres. Les cailloux n'arrêtaient pas faire du bruit contre les roues, chassés par le mouvement de rotation. De temps en temps les sons changeaient, un caillou suivait une autre direction, venant heurter un conduit, une tôle ou un cylindre sous la voiture. Le réservoir d'essence ? A chaque impact je vérifiais la jauge, inquiet. Ce qui ne sert à rien car même si j'avais une fuite, qu'aurais je fait ? C'était un vrai concert de musique moderne ! 


 Quand je pouvais j'accélérais, m'octroyant le luxe de pousser jusqu'à 60 à l'heure pour augmenter cette moyenne désolante. Ça ne durait jamais bien longtemps, rapidement je rencontrais à nouveaux des ornières ou des passages plus délicats, aux cailloux d'un plus gros calibre. Ou alors des virages très serrés qui ne peuvent se prendre qu'à 20 km/h. D'autant plus que la conduite sur piste est très différente de celle sur route. La voiture va où elle veut, elle suit parfois des directions qui sont autres que celle que l'on donne au volant. La raison est simple, c'est que les roues sont comme un aéroglisseur, elles glissent sur la surface des cailloux et parfois elles chassent d'elles mêmes. C'est très dangereux car s'il y a un virage en même temps, quoi que l'on fasse on ne peut garder le cap. J'apprenais donc à conduite différemment, au fur et à mesure, anticipant les virages et réduisant la vitesse. 
Avec toutes mes poses photos, ma moyenne était de 30 à l'heure. Malgré cette vitesse dingue, j'ai fini par apprécier l'aventure et à me détendre. J'avais tout le temps devant moi et la nature en spectacle qui s'offrait rien que pour moi. J'avais de la nourriture, de l'eau, la tente sur le siège arrière, je pouvais donc m'arrêter quand je voulais, même si je n'arrivais pas à Corinna comme prévu d'ici ce soir. Ce ne sont pas les endroits qui manquent pour passer la nuit et faire du camping sauvage! En tous les cas j'avais prévu de m'arrêter à 19 heures.
Je n'ai croisé que 3 voitures durant le parcours. Dans ce genre d'endroit les gens sont différents et se prennent mutuellement comme des sauveteurs potentiels, alors tout le monde se fait un petit signe de la main en guise de bonjour ou pour souhaiter bonne chance ou bonne route. Je me suis arrêté 3 heures après être parti. 3 heures pour 100 kilomètres, il ne faut pas abuser des bonnes choses ! 
Et d'après la carte je n'étais plus qu'à quelques kilomètres de Corinna. Surtout j'ai trouvé un superbe coin où passer la nuit, en surplomb de la Savage River, avec un petit renfoncement pour cacher la voiture où des gens avaient précédemment campé si l'on en jugeait les restes de feux de camp. Alors que je montais la tente une voiture est arrivée de l'autre direction. Je me suis fait petit, me cachant au ras des fourrés pour ne pas me faire remarquer. Elle a voulu se garer là mais est allée ailleurs dès qu'elle m'a vu. En est sorti une famille entière avec 2 gosses tout hurlements dehors. J'avais peur qu'ils ne viennent camper eux aussi mais ils ne sont venus que pour pécher et essayer d'attraper de l'or à travers leurs tamis. Une heure plus tard ils repartaient et le silence reprenait ses droits. Un univers de glou-glou, de chants d'oiseaux, de bruissements du feuillage sous le vent et d'abeilles qui passent.


 Quand on arrive à Corinna, le paysage change encore. On se croirait à présent dans l'ouest canadien, avec des sapins très hauts, des lacs et un village de pionniers venus chercher de l'or en 1850. Reste leurs maisons de bois caractéristiques et quelques âmes qui ont racheté le village pour le restaurer. Il y a à présent un hôtel dont les chambres sont dans des cabanons individuels de chercheurs d'or qui s'ouvrent sur de petites terrasses en bois vers la rivière. L'endroit a un charme fou. On peut aussi y camper, je ne savais pas, et vu l'état de la route, il n'y a pas grand monde : deux campervan et une voiture plus poussiéreuse que la mienne avec une tente. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi il n'ont pas bitumé la piste, quitte à en faire une, ils auraient pu la finir même si cela enlèverait tout le charme de l'aventure. A moins que ce ne soit pour éviter de l'entretenir. J'ai lu que des camions passent par là. Au final, c'est mieux qu'il en soit ainsi, du coup on ne croise personne.
Pour continuer le périple, il faut prendre un bac, qui ressemble à une barge qui se déplace et non à un bateau. C'est long pour y mettre deux voitures et le machiniste est dans une minuscule cabine comme une grue, sur un côté. La traversée de 20$ dure 3 minutes, à peine le temps de faire des photos que c'est déjà fini ! La piste continue de l'autre côté sur 12 kilomètres pour rejoindre une route. C'est la fin de la partie la plus ardue de la Western Explorer. Je peux souffler, la voiture roule comme avant, il n'y a plus qu'à attendre la pluie pour la nettoyer un peu. Car je ne peux pas la rendre dans cet état. C'est bien la première fois que je souhaite la pluie pour quelques heures ! Le prochain village que j'ai croisé, c'est Zeehan, une ancienne mine d'extraction d'argent. Je ne sais pas si c'est parce que c'est dimanche mais la ville est morte. Tout est fermé, les volets baissés et pas un chat le long de la route. Ça fait ville de western après que tout le monde se soit fait tué par des sioux !
En poursuivant encore, on arrive à Strahan d'où part une croisière sur la Gordon River qui se termine dans une baie très large et très fermée qui fait penser à un lac. Il y avait une sortie pour 14 heures, je comptais m'y radiner à l'improviste. Quelques kilomètres avant on aperçoit de la route de hautes dunes qui font penser à une mini dune du Pyla. C'est Henty Dunes qui émerge à 30 mètres au dessus du niveau de la mer, le long de la plus grande plage de Tasmanie, Ocean Beach, qui s'étend sur 30 kilomètres. Je me suis arrêté un instant le temps de monter en haut pour dévaler la dune en courant les bras en croix. Je me serais vraiment cru dans le sud-ouest, il y avait la même ambiance, je ressentais les mêmes impressions de liberté que quand j'y suis. Avec 28 degrés dehors c'est le temps idéal. Sauf qu'un 22 juillet, je vous défie d'aller au Pyla et d'y être seul ! 


 A Strahan il n'y avait pas de croisière pour l'après midi, ils l'avaient annulée faute de participants mais il y en a une demain matin. J'ai laissé tomber, demain je serai ailleurs. Et puis j'en ai eu une hier, il ne faut pas abuser. Et je pense que ça doit être moins spectaculaire ici vu la largeur de la baie, même s'il paraît que c'est un must à faire dans l'ouest de Tasmanie. A la place j'ai préféré prendre mon temps, passer au supermarché en prévision du pique-nique de ce soir et je me suis arrêté prendre un burger. La gastronomie australienne est très limitée. Elle est comme en Nouvelle-Zélande, ils adorent les hamburgers avec frites, ça doit être inscrit dans les gènes des anglo-saxons ! Strahan est très touristique, c'est plein de campings, d'hôtels, de cafés et de restaurants le long de la baie. Mais il n'y a pas beaucoup de monde. Le village a réussi à conserver son air de village de pécheurs, il y a toujours des chalutiers amarrés avec des mouettes qui tournent autour.
Vers 15 heures j'ai pris la route pour Queenstown. Je comptais arriver au lac Saint Clair d'ici la soirée, pour l'explorer en randonnée demain. Le lac est dans le parc national de Cradle Mountain mais complètement de l'autre côté, sur son versant sud. Seulement je me suis arrêté tout le temps, pour des bas côtés fleuris sous des fougères arborescentes qui laissaient passer un rayon de soleil, ou encore pour un lac desséché et argileux entouré de montagnes qu'il était interdit de visiter selon des grands panneaux en raison du danger. Quel danger ? Je n'ai rien vu, ce n'est pas faute d'être monté en haut d'une colline pour dominer la zone. Le site serait il radioactif ? Il y a des pistes d'engins qui sillonnent la région avec de grands tuyaux noirs sur les côtés. Ils ont l'air d'y extraire quelques chose, mais quoi, mystère !


A Queenstown on est plongé des siècles en arrière, les bâtiments affichent tous des années de construction allant des années 1880 à 1900. Ils sont tous en bois avec des porches dentelés garnis de balustrades sur leur façade. Queenstown est une ville minière et les montagnes tout autour sont complètement éventrées, offrant un paysage de désolation. L'exploitation a causé la ruine des sols, lessivés par les pluies. La région est très aride et quand on quitte Queenstown vers l'est, j'ai été saisi par la similarité de paysage avec la Crète. Je m'y serais cru. Même végétation éparse de pins, mêmes rochers nus avec de la garrigue tout autour, et une montagne granitique de 1100 mètres, escarpée, qui fait penser aux Lefka Ori. J'ai retrouvé la Crète que j'aime tant ! A Queenstown on trouve aussi une gare avec un train de la même époque qui servait autrefois au convoi des minerais et dont la ligne été abandonnée en 1963, quand la route est devenue un moyen de transport plus économique. Tout a été restauré depuis, en 2002, pour permettre l'exploitation d'un train touristique qui rejoint Strahan en 35 kilomètres. Les locomotives ont été requinquées et tout est désormais rutilant.
Finalement je me suis arrêté peu après Queenstown, au bord du lac Burbury qui disposait d'un terrain où l'on peut camper. Tout le monde s'était agglutiné au même endroit, j'ai trouvé une place plus tranquille, juste en surplomb du lac dont le clapotis m'a bercé toute la nuit. Vers la fin de la journée, tout le monde est passé par là pour aller piquer une tête dans le lac. Ça n'arrêtait pas de parler, de téléphoner. Je ne comprend pas pourquoi les gens ne sont bien que dans le bruit, surtout dans des paysages comme ça, pourquoi il faut toujours qu'ils parlent, et pour parler de quoi. Ils ont peur du silence. C'est comme s'il allait casser quelque chose en eux. Ils ont peur de se retrouver face à eux mêmes. Beaucoup ne supportent pas, je le sais, il leur faut de l'agitation perpétuelle sinon ça les angoisse. Moi ça m'apaise et me permet de me retrouver. Je ne suis moi même que dans le silence et la nature.
Non ce n'est pas la Crète!
Pour l'instant, de tout ce que je vois de l'Australie, c'est un enchantement de tous les jours. J'aime beaucoup le pays, chaque jour un nouveau paysage, chaque jour est différent et ne se ressemble pas. La Tasmanie surpasse tout, on y trouve de tout : des plages qui font penser aux tropiques comme à Freycinet, des criques méditerranéennes à Bay of Fires, des collines de pré à vaches comme en Écosse, des montagnes, des plaines immenses qui font penser à la Patagonie, des forêts humides qui ressemblent à l'Amazonie, des paysages de western d'ouest canadien, des dunes de sable comme dans le sud-ouest de la France, des garrigues escarpées comme en Crète et sûrement encore d'autres paysages bien différents. Ce qu'on peut voir le long de la Western Explorer est merveilleux : des paysages de désolation font place à des forêts denses, des montagnes, et toujours la nature à perte de vue. Moi qui ne suis pas fan des road trips, celui ci vaut vraiment le détour, pour tous ceux qui aiment se sentir perdu dans les grands espaces. Cela restera un des meilleurs souvenirs de mon tour du monde.

Lac Burbury

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