The Tarkine est la plus
grande forêt pluviale tempérée d'Australie et la seconde de par le
monde. C'est aussi la plus grande région sauvage qui ne soit pas
classée parc national. Elle figure en recommandation sur la liste du
patrimoine mondial de l'Unesco. Ce sont des forêts impénétrables
constituées d'eucalyptus, de myrtes géantes, de fougères
arborescentes, de hauts résineux et parcourues de nombreuses
rivières, qui forment ce qu'il reste de la forêt primaire à
l'époque du Gondwana, il y a quelques 65 millions d'années. C'est
dans cette région que l'on rencontrait le tigre de Tasmanie, espèce
éteinte depuis longtemps. Le meilleur moyen pour visiter cette
région ô combien sauvage est de le faire par une balade en bateau
le long de la rivière Arthur. C'est ce que j'ai fait.
Je suis passé tout
d'abord à la boutique de AR Reflections River Cruises tenue par Kaye
pour laisser mon ordinateur à charger. Je me suis vu offrir un thé
avec des biscuits. Nous avons un peu discuté, je suis le premier
français qu'ils voient par ici.
Normal, le site ne figure sur aucun
guide de tourisme français, encore un truc passé à la trappe. Et
la région est si difficile d'accès, coincée au nord ouest par une
route qui demande des heures de patience que cela a de quoi en
dissuader le plus grand nombre. Seul mon guide « The rough
guide to Tasmania » en parle. Un bon bouquin de 390 pages dans
lequel je suis toujours plongé. Nous avons parlé de la crise en
Europe, qui faisait qu'ils ne voyaient plus d'européens venir, seuls
les allemands résistent encore. Je lui ai confié que j'avais fui la
crise et l'austérité en m'offrant une cure d'exploration
rafraîchissante autour du monde. Elle m'a répondu que je devais
avoir un bon boulot pour me le permettre. Pas tant que ça, en fait
je dépense peu et investis tout sur les voyages, un tiers de mon
salaire. D'autres préfèrent engloutir cette somme dans des crédits
immobiliers à enrichir un système de truands : banques, état,
municipalités... Question de choix !
Les gens pensent que je
suis radin. En fait je suis économe et déteste dépenser de
l'argent dans quelque chose de futile qui ne m'apporte pas de
plaisir. C'est différent. Alors j'économise et cela me permet
ensuite de financer un voyage comme celui ci. Je ne pense pas qu'un
radin partirait faire un tour du monde, claquant des milliers d'euros
dont à la fin il ne restera rien à part des souvenirs. Et si je
voyage autant que possible en camping sauvage c'est que la formule me
plaît. Je suis libre d'aller où je veux quand je veux et de
m'arrêter n'importe quand, sans devoir subir des « c'est
complet » et payer des fortunes dans des chambres d'hôtel
desquelles je ne verrai rien puisque je dors, si je peux, car le plus
souvent c'est bruyant et on doit se farcir les allées et venues
d'autres personnes qui n'ont pas le même rythme de vie que soi. Le
camping sauvage c'est l'aventure, la liberté et le contact avec la
nature. Les animaux vont et dorment où ils veulent. Pourquoi nous
a-t-on enlevé ce droit ?
Nous sommes 9 à partir
en croisière ce matin. Départ à 10h15. Le bateau a un pont
supérieur qui offre une vue à 360 degrés, à la différence du
bateau d'une autre compagnie qui propose cette excursion. C'est pour
ça que je les ai choisis, avec le fait aussi que la sortie dure plus
longtemps que l'autre. Nous avons été accueillis par Rob, un petit
vieux sans âge, alerte mais un brin maniaque. Son bateau c'est
quelque chose. D'emblée il m'a demandé de me mettre à tel endroit
pour équilibrer le navire. Il faut aussi s'essuyer les pieds avant
de monter. Le reste de la troupe c'est un père avec ses deux
enfants, sa femme étant restée à terre car malade et 4 vieux en
goguette d'Adélaïde. Que des australiens. Après avoir fait un bref
tour vers l'embouchure de la rivière, qui passe entre des dunes de
sable jonchées de troncs d'arbres morts et de bois flotté, battues
par un vent cinglant et glacial, nous avons fait demi tour pour
pénétrer dans la forêt. L'aventure pouvait commencer...
D'autres personnes ont
choisi une autre formule pour explorer, en kayak. Pourquoi pas, mais
alors que nous somme partis pour pénétrer 15 kilomètres plus loin,
je ne pense pas qu'ils puissent en faire autant. Et en plus au retour
ils ont dû se farcir le vent contraire et je pouvais les voir faire
du surplace. Certains avaient d'ailleurs renoncé, ayant lâché la
pagaie et se laissant dériver en arrière. Je ne sais pas commet ils
sont rentrés... Les berges de la rivière regorgent de gros oiseaux
perchés dans les branches, immobiles, scrutant la surface de l'eau,
prêts à bondir. Il y avait une vieille fripée qui ne devait pas
être fripée de la paupière car elle était toujours la première à
les dénicher, sans jumelles, pendant que je mettais une éternité à
discerner quelque chose dans la direction de son index pointé. Un
vrai œil de lynx ! On devait voir des martins pécheurs, ils
n'étaient pas de sortie aujourd'hui. En suppléants on a eu des
hérons et des aigles de mer qui font des nids entre les fourches des
eucalyptus hauts comme un étage d'immeuble et qui doivent leur
demander un boulot monstre à construire. Tout ça pour des rejetons
sûrement vilains et déplumés, tout gris qui ne cessent de
piailler !
De temps en temps Rob
montait sur le pont pour voir si tout allait bien. Il m'avait pris en
sympathie et ce n'est pas de chance. Je ne comprenais rien à ce
qu'il me disait. Même accent que les kiwis, sans doute la même
souche. A même climat, mêmes origines. Sans doute des descendants
gallois. Alors que les australiens je les comprends assez (ça dépend
un peu des coins, j'avais aussi un peu de mal avec les vieux
d'Adélaïde, à moins que ce ne soit parce qu'ils sont vieux et que
leur dentier les empêche d'articuler!), c'est une autre paire de
manches avec ceux de Tasmanie. Je ne sais pas comment on dit :
un tasmanien, un tasman, un tasmaniaque ? Aucun n'est reconnu
par mon correcteur orthographique. Toujours est il donc que Rob me
parlait pendant que je souriais niaisement comme une potiche. Sauf
que ça ne suffit pas.
Car comme il dit tout sur le même ton
monocorde je ne savais jamais quand il y avait une question, jusqu'à
ce qu'il répète, la deuxième fois plus fort, comme si j'étais
sourd - sans doute une habitude qu'il a prise avec ses amis !
Comme je ne comprenais pas mieux dit plus fort, les autres venaient à
la rescousse et me décodaient par juste un mot, ou un geste, une
mimique, comme quand Rob m'a demandé si j'étais allergique aux
abeilles et que quelqu'un m'a fait « bzzz » en piquant
son bras en même temps. Ah le langage corporel, heureusement qu'il
est universel! Ça me rappelait le jeu « motus ».
La rivière est pleine de
méandres et avec toute cette forêt tout autour on pourrait se
croire en Amazonie, si ce n'était la différence des espèces
végétales. Un avant goût aussi d'une balade safari sur une rivière
que j'aurai à Bornéo. Mais cette fois ce sera pour voir des
créatures. Rendez vous fin mars...
L'eau de la rivière est couleur
rouille, couleur thé bien infusé comme dit le guide. Au bout, la
rivière se rétrécit et se scinde en deux bras. Nous nous sommes
arrêtés là, ou plutôt nous avons fait demi tour car c'est
l'endroit où l'autre bateau, amarré, s’arrête pour le déjeuner
et une balade dans la forêt. Pour nous, on a la même chose, mais
plus bas. Il y avait deux aigles de mer tout en haut des arbres,
sentinelles de la jungle. C'est gros comme oiseau. Tandis qu'on
faisait demi tour, ils nous ont suivi et même devancé. Rob jouait
de la corne de brume. Cela ne semblait pas les effrayer mais être un
signal. Car j'ai rapidement deviné le jeu. Nous nous sommes arrêtés
dans un grand virage et Rob a jeté à l'eau deux poissons. D'abord
timides, volant de branches en branches, les aigles ont fini par se
jeter dans le vide avant de foncer sur le poisson en ayant fait une
approche en demi cercle.
On dit qu'un oiseau c'est con, ceux là
étaient plutôt intelligents : ils s'étaient envolés quand on
a fait demi tour car ils savaient qu'ils auraient à manger juste
après. Comme la croisière a lieu tous les jours, je suppose que Rob
fait la même chose tous les jours à la même heure.
Pour le déjeuner, on a
eu droit à un buffet sorti d'un réfrigérateur posé sous un abri
dans la jungle. A se demander comment il fonctionne ! Le buffet
comprenait des concombres, des tomates cerises, des raisins frais,
des abricots secs, des pruneaux pour accompagner un assortiment de
succulents fromages de Tasmanie. Tout cela avec différents vins à
disposition, rouge comme blanc. Il y avait aussi des sandwichs sous
forme de toasts de pain de mie coupés en triangle et farcis aux
œufs, à la tomate ou au jambon. C'était succulent.
Le fromage avec
des crackers, surtout celui avec des morceaux de poivre, ça se mange
jusqu'à épuisement du stock ! Avant le café j'ai été
interrompu par des wallaby (j'ai confirmation que ces marsupiaux
qu'on trouve écrasés ne sont pas les vrais kangourous bien qu'ils
se déplacent de la même façon), qui sont venus, attirés par
l'odeur du buffet. D'abord la mère, puis les deux petits qui
suivaient plus loin, se chamaillant, debout sur leurs pattes arrières
et se donnant des coups de boxe. C'était trop drôle à voir.
J'aurais pu passer la journée à les contempler, avec leur ventre
qui tire vers le gris clair et l'ocre quand ils se lèvent. Leur
fourrure a l'air toute duveteuse, on a envie de les caresser. Les
deux gosses étaient aux anges, n'arrêtant pas de rigoler, charmés
par leurs mimiques qui fait un peu penser aux écureuils. J'ai été
tiré de ma contemplation par Rob qui m'a tendu un livre, une sorte
de mini album photo. Dedans figurait sur chaque page une photo d'un
arbre ou arbuste avec un numéro. Car il était l'heure de la balade
en forêt.
Peut être qu'avec lui dans les buts on aurait gagné! |
Le parcours, sorte de
balade botanique auto guidée, s'enfonce dans la forêt pour être au
plus près de la nature sauvage et peuplée de chants d'oiseaux aux
mélodies infinies. Tout le monde se taisait. On peut revenir ici
dans des milliers d'années, rien n'aura changé, il y a des millions
d'années c'était pareil. Quand on y pense c'est fascinant, plus
qu'une ruine d'un monument humain. Ici ce sont des ruines naturelles
qui se régénèrent constamment. La nature est une merveille. Le
sentier longe un petit cours d'eau couvert de mousses et de fougères
géantes. On se croirait dans le film « Avatar ». Je ne
saurais décrire la beauté de l'endroit, c'est unique à vivre et
j'en avais encore des frissons et la larme à l’œil. Rob au retour
nous a demandé comment c'était, je lui ai répondu :
« Fantastic ! ».
J'ai eu raison de faire
cette croisière, je la recommande à tous ceux qui veulent venir en
Tasmanie, c'est hors des sentiers battus et on se sent vraiment pris
par les éléments et on osmose avec la nature. Apparemment pas pour
tout le monde car les deux gosses ont passé le temps sur le bateau à
jouer à des jeux électroniques, en bas, sans rien regarder. Leur
père les appelait tout le temps pour qu'ils viennent sur le pont
regarder le paysage et les aigles de mer. Pour moi, j'étais scotché
sur le toit, faisant des allers et venues, passant par dessus les
jambes allongées des vieux assis qui me disaient « Maybe we
are too old for this ! », ce à quoi je répondais « Oh
no ! ». J'espère pouvoir voir ça jusqu'à mon dernier
souffle. Aussi longtemps que j'aurai la force de faire un mouvement
je passerai ce temps dehors, à voyager, à explorer, à goûter aux
joies de la nature. Je le promet !
Ya des crocodiles
RépondreSupprimerDes platypus il parait...
RépondreSupprimerje vois votre article quelques années après sa parution. peut être êtes vous toujours en balade ? je vous le souhaite. je recherchais des témoignages sur cette région, mourant d'envie de la découvrir. Et votre article a confimé cette envie. merci.
RépondreSupprimerMerci! Oui c'est un très bel endroit qui rappelle la Nouvelle Zélande. Vous ne regretterez pas la Tasmanie. Je continue à voyager mais sur un autre blog. Celui ci était destiné au tour du monde. wildworldtrip.blogspot.com
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