La planète des singes! |
Comme hier, la sortie du
matin a démarré dès 6h30 pour un tour sur la rivière avec le
groupe arrivé la veille. Curieusement cette fois ils nous avaient
tous entassés dans la même barque, peu stable pour le coup et avec
une prédilection à pencher dangereusement sur les côtés à
chaque virage. Alertés par des hornbill que les autres n'avaient pas
encore vus, on s’est approché un peu plus du rivage, et là,
surprise, qu'est ce qu'on voit en haut d'un arbre ? Un gros
orang-outan le cul posé sur son nid construit entre deux branches.
J'espère que c'est un as de la construction car avec son poids il
aurait tôt fait de passer à travers comme dans une chaise percée.
L'orang-outan est un singe qui ne dort pas assis sur une branche
comme les macaques, il lui faut un lit. C'est sensible à son
confort. En fait c'est parce qu'ils n'ont pas de queue. Rien ne peut
donc les rattraper s'ils venaient à faire une mauvaise chute pendant
leur sommeil. Le gros père de ce matin n’est pas bien réveillé,
il est là à contempler l'horizon comme s'il se demandait si ça
valait le coup de descendre du lit. Ne t'inquiète pas, personne ne
t'attend, tu n'as pas un boulot où pointer et de comptes à rendre,
tu fais comme tu le sens et tu as bien raison ! Keep cool !
Certains ont demandé si les orangs-outans savaient nager. Comme pour
l'histoire du nid, c'est la faute à la queue dont il sont privés.
Orang-outan dans son lit |
Apparemment seuls les singes qui ont une queue savent nager, cela
leur permet de faire gouvernail. Sinon j'ai bien la confirmation, le
terme orang-outan est bien malaisien et signifie mot pour mot « man
of the forest ». D'où le panneau « 6 orang » à
Poring Hot Springs. On en apprend chaque jour, c'est ça qui est bien
au contact des animaux. Je vais revenir plus riche qu'en partant,
enfin, côté connaissances. Car pour le reste, j'ai déjà dépassé
mon budget... C'est pas bien grave, je suis toujours vivant !
Un peu plus loin, alors
qu'on continuait à descendre la rivière on a aperçu un gibbon. Une
nouvelle espèce de singe à ajouter à mon tableau de chasse. Ça
fait la quatrième : orang-outan, macaque, proboscis et gibbon.
Bornéo compte 10 espèces, je compte bien en voir le maximum et
pourquoi pas, toutes. Par contre vous ne verrez pas à quoi ça
ressemble et moi non plus. La faute à des branches trop garnies et
mal placées qui lui cachaient le visage.
Tout ce que je peux dire
c'est que ça de grandes pattes potelées, un pelage qui a l'air
assez ras et de couleur gris souris. Ça fait maigre comme portrait
robot ! En tout cas ça suffisait à nous émouvoir et à tirer
des « oh » et des « waw » des anglaises dont
on a écopé lors de la dernière cargaison.
A la fin de la croisière,
il était temps de faire les bagages et de prendre un petit déjeuner
avant de quitter l'aventure. J'ai laissé le camp, les animaux et le
personnel à ses occupations. Eux restent là et ça doit leur être
un peu difficile de voir des gens passer tous les jours. Ils n'ont
pas vraiment l'occasion de tisser des liens. C'est pour ça qu'il ont
un peu tendance à rester entre eux et à rigoler ensemble, à part
Rémy qui vient nous tenir compagnie parfois. Mais on sent que c'est
lui le chef, il est un peu fier. Une fois arrivé au QG de l'oncle
Tan, je me suis assis pour prendre le déjeuner à une autre table
que l'américain car j'avais des mails à lire et à envoyer, ne
sachant pas si je pourrais disposer d'une connexion internet dans les
jours qui suivent.
Il l'a peut être mal pris car il est parti sans
me dire au revoir, après avoir avalé son repas en 5 minutes, pressé
de rejoindre à pied avec son sac à dos la jonction du bus pour Kota
Kinabalu. Il a dû croire que je lui faisais la gueule alors que pas
du tout, la seule chose que je lui reprochais c'était son accent qui
me laissait muet. C'est pas ça qui va arranger l'estime des français
mais je m'en moque. Pour moi l'aventure continue. Je ne vais pas bien
loin, à une vingtaine de kilomètres, et je ne me fais pas chier, un
taxi vient me prendre.
Quand je suis arrivé au
portail d'accueil de Labuk Bay, le taxi n'a eu qu'à annoncer que je
dormais ce soir au Nipah Lodge. Ils ont demandé si je voulais
assister au prochain feeding, à 14h30, dans quelques minutes. Ce
n'était pas prévu au programme mais vu que la vie sauvage
m'appelle, je ne peux que répondre à l'invitation !
De plus
cela me permettra de passer le temps. Par contre cela me fera
assister à 10 feedings, ça fait un peu beaucoup et ça risque de
devenir répétitif. A Labuk Bay, il y a 4 feedings par jour car
l'endroit dispose de deux plateformes espacées de quelques
kilomètres. Au début j’avais un peu peur de ce que j'allais voir,
car avant d'y parvenir il faut traverser des champs de palmier à
huile. C'est moins moche que je l'aurais crû, les troncs étant
envahis de fougères et de lianes, preuve qu'on est bien dans une
jungle, ou du moins qu'on y était. Mais pour moi le palmier à huile
reste le symbole d'un scandale, la destruction d'un habitat
merveilleux. Pensez y la prochaine fois que vous consommerez ces
cochonneries industrielles avec marqué au dos « huile
végétale ». Sachez que la mention veut dire « huile de
palme ». Il est quasi impossible d'y échapper (même dans les
rayons bio), c'est comme la publicité. La seule option est de tout
cuisiner soi même. C'est un peu en train de changer, les gens étant
un peu plus sensibilisés en raison des reportages qui ont été
diffusés à la télé ces dernières années. Certaines marques
sentant le vent tourner en font un argument marketing en affichant
sur les paquets « sans huile de palme », oubliant que
c'est par leur faute si on en est arrivé là. Car il y a quelques
dizaines d'années, je me souviens que tout était encore à l'huile
de tournesol ou de colza. Ce n'est pas pour quelques centimes de
plus...
Que feront ils le jour où leurs palmiers à huile ne vaudra
plus un clou ? C'est une autre histoire. Pas sûr qu'ils
déracinent tout pour replanter des arbres de la jungle s'il n'y a
pas d’intérêt financier derrière. Ce sera sans doute l’œuvre
d'associations. Le jour où ça arrive, je m'engagerai comme
volontaire pour replanter les arbres à Bornéo. Je le promets. Mais
pour l'heure, la déforestation continue et le territoire des singes
diminue comme peau de chagrin un peu plus chaque année...
J'ai été accueilli
devant le premier site par Jonathan, un jeune ranger sympathique.
Pour rejoindre la plateforme A, il faut prendre un petit ponton de
bois qui passe au dessus de marécages. De la mangrove en réalité
car la réserve est toute près de la mer. Les singes sont venus
trouver refuge ici, dernier bastion resté sauvage car impropre à la
culture des palmiers en raison des inondations.
Je pensais trouver un
truc du style un peu zoo mais pas du tout. Il y a un genre de
chapiteau en dur dressé au milieu de grands arbres pour permettre
l'observation des animaux. La nourriture est disposée quant à elle
sur des estrades à part, plus proches de la forêt. Tout est ouvert,
les singes sont libres de venir ou de rester à l'écart. Ils ne sont
pas contraints. Ça n'a donc rien d'un zoo. Le feeding est juste un
moyen de les voir de plus près.
Et pour ce qui est de les
voir de plus près je suis servi ! Les mâles sont les plus gros
et ont le plus gros nez. Ce sont de gros bestiaux qui peuvent peser
25 kilos. Ils sont très musclés et ont une fourrure plus épaisse
que les femelles, plus colorée aussi, leur donnant l'impression
d'avoir un gilet sans manche sur le dos et une écharpe en fourrure
d'hermine autour du coup. Ça leur donne un air royal !
Le pacha |
Les
mâles sont répartis en deux groupes, il y a le mâle alpha,
dominant, qui se tape toutes les femelles. Il vit avec un harem de 20
femelles qu'il passe son temps à satisfaire, principalement après
les feedings. Le ventre bien rempli ça le rend d'humeur coquine. Les
autres mâles en sont réduits à l'abstinence, passant leur temps à
se masturber à la vue de tous. Il n'y a pas de quoi s'en offusquer,
c'est la nature ! Sinon, un singe proboscis ça vit 25 ans. Ça
lui fait une longue petite vie !
Il y avait un couple
d'américains arnaché avec du matériel de pro, des téléobjectifs
énormes de la taille d'un bazooka qu'ils étaient obligés de
dissimuler par du tissu camouflage tout autour afin de ne pas
effrayer les bestioles. Ils n’arrêtaient de mitrailler avec leur
déclics agaçant et bruyants. On comprenait du temps des appareils
photos traditionnels, avec l'ère du numérique, le bruit de
l'obturateur peut être débrayé.
Ils l'ont gardé pour les
puristes, pour faire ambiance. Mais ça fait un vacarme qui ne fait
pas très nature. J'avais bien envie de leur demander de le mettre en
sourdine. C’est ce que j'ai fait avec mon compact dès la première
utilisation. Il faisait très chaud et en plein soleil la femme du
couple n'en pouvait plus de tenir ce caillou à bout de bras,
s'essuyant le front en soufflant, cramoisie, attendant le bon angle,
la pose pose, la bonne mimique. Car il y en a tellement qu'on ne sait
plus où donner de la tête. Et ils remuent tout le temps, de sorte
qu'on est obligé de mitrailler. C'est comme un jeu vidéo qui
consisterait à en viser le plus grand nombre. Il y en a dans les
arbres, d'autres qui se balancent, certains qui s'épouillent ou
allaitent. C'est une vrai société et on assiste à leur vie sans
restriction.
A un moment, alors qu'un
de ces singes s'était laissé approcher, l'américain s’est
proposé de me prendre en photo avec mon appareil.
Je lui ai indiqué
les réglages et la position du zoom pour qu'il joue avec à sa
guise. Il me l'a rendu dégoûté, étonné qu'un si petit appareil
soit si performant, regrettant à moitié son attirail de guerre
encombrant, lourd et coûteux. Eh oui, il y a des situations, quand
les créatures ne sont pas trop loin, où mon compact fait des
merveilles. C'est pour ça que je l'ai choisi. Avec son zoom 16 fois,
il n'a rien à envier aux téléobjectifs de reflex grand public qui
ont une amplitude moins grande à un tarif qui vaut deux fois le prix
de mon appareil. Pour un tour du monde et un usage polyvalent c'est
l'idéal même s'il a des limites exposées déjà dans d'autres
messages.
Le feeding à la
plateforme B débute à 16h30. L'observation se fait depuis la
terrasse située à l'étage d'une bâtisse qui dispose d'une salle
de projection d'un petit film sur les proboscis que j'ai remis à
demain et d'une boutique qui vend souvenirs et boissons fraîches. Le
site est moins bien que l'autre car moins dans la forêt. Il est
plutôt dans une clairière. Par contre il a le mérite d'attirer une
autre espèce de single, Silver Leaf quelque chose, que j'ai
surnommée les petits gris pour faire court. Ils sont rigolos, on
dirait des peluches à la fourrure vif argent. Ils ont une houppette
sur le crâne plus claire qui leur donne un air de Gremlins. A mon
avis les créateurs du film ont dû s'en inspirer.
Par contre je n'en
ai vu qu'un seul, moins timide que les proboscis se baladant dans la
bâtisse, sur les balustrades et le toit. J'ai pu l'approcher de
près. Il m'a plus diverti que les autres singes, un comble pour un
site d'observation des proboscis.
Le resort que j'ai trouvé
est un délice, mais ça, je le savais déjà. J'avais lu un article
d'un français qui s'y était rendu avant moi et qui disait que
c'était son meilleur souvenir à Bornéo. Il avait mis des photos à
disposition pour illustrer et tout le monde lui laissait des messages
pour en savoir plus, déclenchant des envies compulsives de se rendre
à Bornéo. Il faut dire que les photos parlaient d'elles mêmes et
en plus il précisait que dans le resort il avait été tout seul
dans un grand dortoir, les gens venant là dans le cadre d'excursions
à la journée uniquement. Le resort, Nipah Lodge, est situé dans la
plantation de palmiers à huile, au bord d'une mangrove, à trois
kilomètres des sites d'observation des proboscis.
Avec ça, mon blog va être interdit aux moins de 18 ans! |
Il n'y a personne
autour. J’avais vu une brochure fort appétissante sur la
plateforme B avec des photos des chalets. Ce sont des bungalows
nichés dans la mangrove, tout en teck, avec la jungle tout autour.
J'avais bien envie de troquer la réservation de mon dortoir,
sûrement coincé contre la cuisine du restaurant, contre quelque
chose de plus reposant qui aille mieux avec le décor. Aussi, quand
je suis arrivé à la réception, j'ai tout de suite mentionné que
j'allais peut être prendre un chalet, leur demandant qu'ils m'en
fassent visiter un. Il faut marcher un peu, passant par un pont au
dessus d'un chenal de la mangrove où un bateau est amarré puis
prendre des pontons de bois courant parmi les palétuviers. Le chalet
est sur pilotis avec l'eau en dessous et les palétuviers qui
viennent lécher le toit et la terrasse. A l'intérieur il y a un
grand lit aux draps blancs épais et accueillants dans lesquels je me
suis tout de suite vu. J'ai eu un coup de cœur pour cette petite
hutte grand confort dans la jungle. C'est ce qui me fallait.
Par acquis de conscience
j'ai demandé à visiter le dortoir, laissant mes bagages sur la
terrasse, sûr que j'allais choisir le chalet. Seulement, le dortoir
est dans le même coin, aussi isolé, sur un ponton parallèle à
celui qui mène aux chalets, juste derrière celui que j'ai visité.
Et comme ce que le type disait sur internet, il n'y a personne. Il y
a 10 dortoirs de 10 lits chacun et tous vides. Le tout pour 7 euros,
6 fois moins cher que le chalet. Ça fait réfléchir. Tellement que
j'ai choisi le dortoir. Les chalets n'allaient rien m'apporter de
plus sinon plus de confort et une climatisation dont je me fiche pas
mal. Par contre ça la foutait un peu mal avec le personnel du resort
qui devait déjà voir les dollars devant leurs yeux quand je leur
avais mentionné le chalet. Avec le peu de clients qu'ils ont, ils
ont sûrement besoin de plus de sous que ce que je vais leur laisser.
Ils ne vont pas aller bien loin avec 7 euros ! Pendant le repas
j'ai pris une brochure sur le Nipah Lodge. Voilà ce qu'ils en
disent : «Surrounded by nature with mangrove paths, Nipah
Resort is a retreat place to get away from busy lodges, resorts and
city ». Tout est vrai, y compris le résumé, très bien
trouvé : « Best kept secret in Borneo ». Qu'il le
reste encore longtemps ! Je me réjouis d'avoir eu la chance
d’être tombé sur le bon blog quand j'ai commencé à élaborer
mon tour du monde. C'est grâce à lui que je suis à Bornéo. Et je
ne regrette pas. C'est une petite merveille de tranquillité et je
suis comme un pacha là dedans !
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