J'ai pris mon temps ce
matin, pas pressé de mettre un œil dehors puisque je ne fais comme
les autres. J'ai été réveillé à 6 heures pétantes par le
portable de mon colocataire. Ce n'était pas bien grave, je n'avais
déjà plus sommeil, habitué à me lever à 5 heures du matin. Je
suis étonné car Bornéo est à la même heure que les Philippines
et Singapour. Pourtant il y a de la distance entre tous ces endroits.
Bizarre... A 6 heures il faisait encore nuit. Ça ne m'a pas empêché
de commencer l'écriture du blog dans la salle commune où trône une
cheminée. On se croirait dans un chalet de montagne. Oh, j'avais
oublié, je suis à la montagne ! C'est juste que je n'ai pas
l'habitude de voir des fougères géantes et des orchidées quand je
dors en montagne. Mais on s'y fait très vite ! Pris par la
rédaction, je n'ai pas vu le temps passer et mon locataire partir.
J'avais fini à plus de huit heures et quand j'ai mis un pied dehors
j'ai été surpris de voir sous mon nez le Mont Kinabalu.
Il faisait
soleil et les nuages s'étaient dissipés, permettant de voir le
sommet qui ne semblait pas si loin que cela. Deux journées pour arriver
au sommet, vu d’en bas cela semble beaucoup. Ça a l'air si simple.
Le sommet est sans végétation et composé de dalles de pierres. Ce
n'est pas un pic mais un sommet un peu rond. Il paraît que
l'ascension n'a pas de difficulté particulière si ce n'est que
l'ascension est longue, qu'il fait froid en haut et qu'il y a peu
d'oxygène.
Je suis allé prendre mon
petit déjeuner. Il y avait des retardataires en tenue comme s'ils
s'apprêtaient à partir à l'ascension de l'Everest, avec des
piolets, des chaussettes épaisses, des coupes vent, des bonnets et
des gants. D'ordinaire les groupes partent tous dès 7 heures du
matin pour arriver au camp sur les coups de 16 heures, afin d'avoir
le temps de s'installer au refuge et d’être briefé pour la
deuxième partie de l'ascension, plus rude en raison du manque d'air.
Les serveurs m'ont tous demandé si je montais ce matin. Devant la
négative ils avaient l'air surpris. Je me suis installé sur la
terrasse, contemplant le mont. Et plus je le regardais et plus
j'avais l'impression qu'il m'appelait. Tout de même, venir jusqu'ici
pour faire le petit joueur et s’arrêter en bas, ça ne me
ressemble pas. Ce doit être une expérience fabuleuse que de monter
là haut, en ayant la satisfaction de s’être dépassé et
vraisemblablement récompensé en conséquence avec la vue. On doit
en garder le souvenir à vie. Les gens accourent à Bornéo, certains
pour ne voir que ça, c'est que ça doit valoir vraiment le coup.
Plus je songeais à cela et plus mes réticences s'envolaient. Pour
quel motif je ne pourrais pas grimper ? Qu'est ce qui m'en
empêchait ? J'ai le temps devant moi, pour le froid, il y a
moyen de s'arranger en mettant plusieurs couches, en Nouvelle-Zélande
j'ai bien réussi à marcher sur un glacier !
Ça y est mon
compte était bon, j'étais mûr pour me lancer. Je suis allé
m'enquérir auprès d'un serveur s'il n'était pas trop tard pour
entreprendre l'ascension. Il a regardé sa montre et m'a dit que ça
allait encore. J'ai donc fini en avalant ce qui restait du petit
déjeuner. Car il me restait encore à me rendre au centre des
visiteurs pour payer les redevances et autres permis et à savoir
comment réserver un hébergement en route pour ce soir.
Au centre des visiteurs
je suis tombé sur une demeurée qui ne comprenait pas ce que je
voulais. Avec son tchador sur la tête, et sans faire de racisme
particulier, ça ne lui donnait pas un air très fin. Elle disait oui
à tout, même quand j'ai reformulé ce qu'elle me disait pas la
négative pour voir si elle suivait ! Un collègue est venu à
son secours et m'a tout de suite dit que tout était complet depuis 3
mois et m'a demandé de revenir dans 3 mois !
Ça me semblait
quand même gros qu'il ne reste même pas un misérable lit quelque
part, sachant qu'il y a une demie douzaine de refuges en chemin.
D'autant plus qu'il a sorti ça sans consulter de registre. Ça
pouvait être tout aussi bien parce qu'il n'avait pas envie de se
bouger le cul aujourd'hui pour un individu unique dans mon genre. Je
suis donc allé frapper à une autre porte. Direction le bureau de
Sutera Lodge qui possède tous les resorts du bas du parc, auprès de
qui j'avais réservé hier. Avec un peu de chance ils en ont peut
être aussi là haut et maintenant que je suis connu et que j'ai
passé une nuit avec eux, ils seront peut être plus enclin à me
trouver une place. Hélas, là non plus, pas de succès. Par contre
je les crois un peu plus car au début ils m'avaient dit que c'était
possible de dormir à l'un de leur deux refuges mais après un coup
d’œil sur leur ordinateur ils ont vu que c'était complet.
Afin d'en avoir le cœur
net, je suis allé sur internet, cherchant à passer une réservation.
Ils ne m'avaient pas menti, tout est complet. J'ai alors cherché un
site internet global au mont Kinabalu qui permettrait de réserver
dans n'importe quel refuge mais ça n'existe pas. Je suis tombé sur
un site internet où un type racontait comment les choses marchaient
ici. Les tours opérateurs, à la minute où les établissements
mettent leur chambres en vente, achètent tous les lits afin de les
revendre plus tard dans leurs packages.
Le marché est donc bloqué
pour le voyageur indépendant qui ne peut visiter le parc comme bon
lui semble et y rester le temps qu'il veut, tous les packages étant
sous la forme de deux jours une nuit, revendus bien plus chers.
L'auteur du blog était outré. Le gouvernement est au courant de cet
état de fait mais ne fait rien, les différents acteurs ayant des
connections privilégiées avec le pouvoir. Bref l'article se
terminait en révélant que le Mont Kinabalu est la plus grande
entreprise lucrative mondiale pour un site d'escalade d'une curiosité
naturelle qui devrait être accessible à tous. Un vrai scandale.
Dans mes recherches je
suis tombé sur un autre opérateur qui possède deux chalets là
haut et dont le bureau se trouve juste à l'entrée du parc, un peu
caché. Il offrent un itinéraire différent, permettant d'utiliser
leur via ferrata arrivé au sommet, la plus haute au monde. Seulement
là encore, c'était complet pour ce soir. J'ai demandé pour demain,
idem.
Il ne me restait plus qu'à me rendre à l'évidence : le
mont Kinabalu m'était interdit ! J’étais déçu mais pas
tant que ça, après tout c'était aussi un peu ma faute car je
n'avais pas prévu de grimper auparavant. Ça m'apprendra ! Et
puis après tout, le mont qui tout à l'heure était bien dégagé
était à présent à nouveau dans les nuages et la météo annonce
pour les jours suivants le même temps : pluies l'après midi.
Une ascension donc marquée sous le signe de l'humidité. Et dans le
froid !
Il y a vraiment un micro
climat surprenant autour de ce mont. Je suis retourné 5 kilomètres
là haut, au terminus des voitures, pour tenter d'apercevoir la
cascade. J'ai trouvé un point de vue formidable où l'on voyait
qu'il faisait beau partout sauf au pied du mont. J’étais à la
limite de l'anneau de nuages pluvieux qui tourne en orbite. A la
faveur des températures cet anneau va et vient. Il fout le camp la
nuit Dieu sait où et revient progressivement en milieu de matinée,
pour gagner du terrain en milieu d'après midi et finir par déverser
ses pluies torrentielles.
Il ne faut donc jamais espérer avoir beau
temps dans le parc. En restant en bas comme moi, on a toutefois plus
de chances de bénéficier d'éclaircies entre deux nuages. Mais si
l'on veut espérer voir le sommet, il faut venir le matin avant 9
heures, après la cime disparaît derrière les nuages. Le monde
appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Pour la cascade censée
être à 500 mètres, elle est en fait bien plus loin et je ne suis
pas sûr qu'un chemin permette d'y accéder. J'ai essayé d'aller à
sa rencontre mais au bout de 100 mètres j'ai été stoppé net dans
ma progression par une grille. C’est là où les choses sérieuses
commencent. Il y a un guichet devant lequel on doit montrer patte
blanche et présenter ses tickets et autres certificats obtenus au
bureau du parc pour ceux qui font l'ascension. Pour les autres, il
n'est pas possible de grimper ne serait ce que quelques minutes pour
se balader sur le chemin dans la forêt. C'est bien dommage qu'ils
interdisent l'accès de la sorte. Ils devraient mettre cette barrière
plus haut. Du coup je suis redescendu, je n'avais rien d'autre à
faire.
![]() |
Silau Silau trail |
A peu près à la moitié
du chemin depuis l'entrée du parc, il y a un sentier qui part en
longeant une rivière, le Silau Silau trail. Comme le début du
sentier semblait prometteur avec sa végétation dense aux couleurs
vert tendre en raison des rayons du soleil qui filtraient à travers,
j'ai garé ma voiture là pour m'aventurer sur le chemin. En guise de
rivière c’est plus un ruisseau qui coule le long d'un sentier qui
jamais ne s'en approche, ce qui rend tout accès et photos
impossibles. En revanche j'ai eu raison de me balader ici. Le coin
est splendide, plein de lianes, de mousses ourlées de gouttes d'eau
de la dernière pluie et de plantes géantes qui me dépassent. On
entend de temps en temps un étrange son, fort, comme si quelqu'un
était en train de faire la vaisselle en lavant des casseroles au
fond d'un évier en inox. Au début j'ai crû que c'était un drôle
d'oiseau mais plus tard, en écoutant mieux je me suis rangé à
l'idée que ça devait être des croassements de grenouilles.
Quand je me balade ainsi,
je ne vois pas le temps passer, cherchant un angle parfait, la bonne
altitude, la juste exposition. C'est très dur de prendre une forêt
en photo. Même avec un reflex. Du temps où j'en avais un en état
de marche, j'étais déçu du résultat, jamais comme ce que je
voyais à travers le viseur ou sur l'écran. Depuis j'ai compris
qu'il fallait sous exposer systématiquement l'appareil, l'exposition
automatique se faisant toujours sur les scènes sombres, ce qui rend
les zones éclairées par le soleil brûlées sur la photo.
L’inconvénient en descendant l'exposition, c'est qu'on y perd en
saturation des couleurs. Après retouche sur Photoshop on aboutit à
un résultat correct au niveau exposition mais terne et grisâtre en
terme de couleurs. La parade que j'ai trouvée est d'utiliser le mode
contre jour qui sur expose les zones sombres de la prise de vue en
gardant de belles couleurs.
Mais il faut bien faire attention sur
quoi on vise, le résultat étant souvent catastrophique et
absolument pas naturel. Il faut faire la mise au point sur la zone la
plus claire de la scène. Même malgré ces précautions, le mode
contre jour peut ne pas donner un résultat satisfaisant. Il ne reste
donc plus qu'à se résigner à garder un souvenir dans sa tête. De
toute façon se sont les meilleurs, la photo n'étant là que pour
aller chercher dans le bon tiroir du cerveau la scène d'origine avec
ses impressions, son ambiance, ses sons et ses odeurs, choses qui ne
pourront jamais être sur une photo. Bref, tout cela prend du temps,
et si on rajoute le fait d'attendre le passage d'un nuage, la
progression de la balade se fait à vitesse d'escargot. Mais qu’est
ce que cela peut bien faire, le principal étant de s'amuser et de
prendre du plaisir à se promener dans la jungle ! Au passage,
je fais bien attention aux endroits où je pose le pied, le sol tant
complètement détrempé et la végétation ruisselante d'eau.
Car
une spécificité de Bornéo est ses sangsues. Il paraît qu'elle
sont partout et qu'il est impossible d'y échapper à moins de porter
des guêtres en plastique couvrant les pieds et les jambes. C'est
tellement humide qu'elles vivent à l'air libre, sur les feuilles,
attendant que quelqu'un passe. Le Petit Futé dit que chacun y
passera forcément lors de son séjour à Bornéo, précisant que la
piqûre n’est ni douloureuse ni dangereuse. Mais je ne tiens pas du
tout à avoir une excroissance pendue à ma peau ne sachant pas
comment m'en débarrasser. Je suis donc toutes les 15 secondes à
m'examiner. En plus je suis en culotte courte !
Je suis retourné à
l'entrée du parc pour déjeuner sur les coups de 14 heures. J'en ai
aussi profité pour réserver dans un autre établissement du resort,
le Mesilau Nature Resort, qui se trouve à quelques dizaines de
kilomètres d'ici et qui constitue une autre porte d'accès au parc.
Endroit où peu de personnes se rendent pour faire l'ascension car
rajoutant du temps de marche et que j'espère plus tranquille. Car
ici c'est un peu comme un parking de station de ski. Il y a des
allées et venues en permanence entre les bus, les taxis et les vans.
Pour circuler il faut se frayer un chemin entre des véhicules garés
en double ou triple file. Et puis le dortoir à Mesilau ne peut être
que mieux, difficile de faire un truc plus près d'une route. Mais
surtout j'aurai une autre vue sur le Mont Kinabalu, permettant de
nouvelles balades comme si j'étais ailleurs.
Pour rejoindre Mesilau,
il faut reprendre la route en direction de Sandakan, traverser un
village qui ressemble à un marché ouvert en permanence, plein de
stands de légumes et de barbecues qui tournent. J'y ai par miracle
trouvé un distributeur. J'en ai profité pour vider le compte en
banque, de peur que la carte se bloque dans le futur. Mon
portefeuille ne ferme plus, il va falloir que je fasse le tri, entre
les pesos, les dollars de Singapour et ma vue défaillante, je ne
sais jamais quelle pièce c'est aussi chaque fois qu'on me rend la
monnaie je la prends sans jamais la donner. Ça finit par peser lourd
tout ça. L’hôtel est à 9,7 kilomètres du village et c’est
tant mieux car les environs ne sont pour l'instant pas très
folichons. Il faut prendre une petite route qui ne cesse de grimper,
avec des dos d’âne tous les 300 mètres. N'espérerez pas dépasser
les 30 à l'heure ! Au fur et à mesure que l'on se rapproche la
végétation se fait de plus en plus épaisse et dans les derniers
kilomètres on ne croise plus aucune maison.
![]() |
La vallée avant Mesilau. Ça promet! |
On se demande où l'on
va atterrir. On pénètre dans une vallée à la jungle mystérieuse.
En plus on est à présent dans la zone de turbulence et la pluie
commence à tomber par intermittence, rajoutant une couche de
mystère. On est au bout du monde et l'endroit est nettement plus
remarquable que par l'entrée principale. Vive l'entrée des
artistes !
A la réception on n'y
voyait plus rien. Pourtant il était à peine 16:30. L'endroit est
tellement caché dans la jungle. Je me suis vu remettre un parapluie
en guise de bienvenue ! Il n'a pas tarder à justifier sa
présence... Il y a eu un orage, ô désespoir ! Un vrai déluge,
rendant le chemin pentu pour accéder au bâtiment très glissant,
transformé en cours d'eau pour l'occasion. Le dortoir n'a rien à
voir avec le précédent. C'est le luxe à côté, pour moins cher en
plus. Comme prévu je suis seul dans un dortoir de 4. Il y a bien
d'autres pensionnaires mais ils ont eu l'intelligence de ne pas
mélanger les gens, les répartissant chacun dans des dortoirs
différents.
![]() |
Un dortoir rien que pour moi! |
J'ai des serviettes, des gels douche, une bouilloire et
des sachets de thé ou de café avec du sucre pour me faire une
boisson chaude à toute heure. Dans le dortoir il y a même un salon
avec des fauteuils confortables pour lire ou se reposer. C'est de là
que je suis en train de taper ce message.
En allant au restaurant,
j'ai marché dans une ambiance particulière qui donnait l'impression
d’être tirée d'un film. Le jour était en train de se coucher, il
pleuvait des cordes, les éclairs zébraient le ciel mais la lumière
était orange, le soleil se couchant au delà de la zone de nuages.
C'était magique et absolument surréaliste. Je ne m'étais jamais
trouvé dans une telle ambiance, avec de la jungle très sombre.
J'adore être ici, on se sent au bout du monde, face à une nature
vierge, l'une des plus anciennes forêts au monde. C'est un trésor
inestimable qu'il m'est donné de voir. Du coup je vais aussi rester
la nuit prochaine. Pourquoi aller ailleurs ? J'ai trouvé un
petit paradis.
![]() |
Lumière surnaturelle |
En plus tout s'insère dans la jungle avec des sons
hypnotiques. La cuisine est de surcroît excellente et le personnel
au petits oignons. On se croirait dans un grand restaurant. C'est
spacieux, confortable et bien décoré. J'ai demandé un verre de vin
rouge pour accompagner un poulet mariné aux piments, oignons et
gingembre. Le vin était succulent, tellement que j'ai demandé au
serveur ce que c'était, étonné que quelque chose d'aussi bon soit
un vin local. C'est un vin australien. Tu m'en diras tant ! Il
est léger, pas âpre du tout et gouleyant à la fois. C'est un
shiraz merlot cabernet de Eaglehawk. Je ne connais pas l'année en
revanche. A acheter les yeux fermés si vous allez en Australie. Qui
s'est encore déclaré comme étant le meilleur pays au monde pour le
vin ? C'est peut être vrai mais c'est tellement noyé sous des
montagnes de piquettes que c'est dur de trouver une bonne bouteille.
Ce vin là n'a rien à envier aux vins français. J'en reprendrai
demain !
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