Ce matin je me suis
réveillé avant le lever du jour, excité par une nouvelle journée
pleine de trouvailles. Dans le ciel c'était Noël. Des sapins qui
scintillaient de toute part. Ce sont des « fireflies »,
des espèces de mouches phosphorescentes qui émettent un halo
verdâtre en clignotant, comme les feux de signalisation des avions.
J'ai essayé d'en prendre en photo en choisissant le mode pose longue
mais ça ne donnait rien. Tout ce que j'obtiens ce sont des taches
plus ou moins vertes avec un truc flou au milieu. Occupé par ça, je
n'ai pas vu le temps passer et quand je suis arrivé à la terrasse
où l'on prend ses repas, il était déjà 6h30 et l'heure de la
première activité de la journée : une balade sur la rivière
Kinabatangan, en principe très animée par les bestioles qui
viennent faire leur toilette le matin. J'ai juste eu le temps de
prendre un thé que j'ai amené à bord. Ils nous ont réparti en
deux groupes, un sur chaque bateau.
J'étais dans le deuxième, celui
qui suivait l'autre. Ce n'était pas le bon numéro. Le premier
bateau avait la primeur de la découverte des bestioles. Quand on les
voyait tournicoter et stopper, notre bateau s'approchait mais le
temps qu'on arrive en général les bêtes s'étaient déjà
échappées, fatiguées qu'on leur tire le portrait. C'était
rageant. Mais après tout, ce matin c'était très calme. Sans doute
parce qu'il a plu toute la nuit et que tout est trempé partout. Les
animaux n'ont peut être pas envie de se lever. Tout ce qu'on a
réussi à voir ce sont des macaques et des hornbills. Les macaques
sont de sortie en permanence, ils les surnomment ici « jungle
mafia » par leur propension à toujours fourrer leur nez
partout.
La dernière demie heure
d'exploration on n'a rien croisé, ce n’est pas faute d'avoir
cherché à scruter les moindres recoins.
J'avais les yeux qui se
fermaient tout seuls et je devais me donner des gifles pour éviter
de m'endormir. Je ne suis pas venu si loin pour dormir sur une
rivière au milieu de la jungle ! Et puis ce qui est excitant
dans une exploration, c'est plus la recherche que la trouvaille en
elle même. Alors ça ne m'a empêché d’apprécier cette croisière
au petit jour avec des nappes de brumes à la surface de l'eau. Rémy
s’est excusé de ces minces prises mais ce n'est pas sa faute si
les bestioles boudent ce matin ! Et puis on a une séance de
rattrapage demain matin, avec le nouveau groupe qui est attendu ce
soir, 6 personnes. Alors, il y a de l'espoir.
De retour au camp, alors
que tout le monde était parti prendre le petit déjeuner, je suis
allé explorer autour des pontons au dessus de l'eau pour tenter
d'apercevoir des bêtes puisque c’est le matin qu'on a le plus de
chance d'en apercevoir.
Je n'ai pas tardé d'en trouver un, un oiseau
tout rouge. Mais la photo est toute floue. Aussi vous ne verrez rien.
Il est des situations où le reflex est incontournable,
principalement pour la prise de vue des animaux dans les branches.
Avec un compact le focus se fait le plus souvent sur des branches ou
des feuilles, quand ce n'est pas l'arrière plan même si une énorme
bête est en plein milieu du cadre. C'en est exaspérant. Sans
compter qu'avec le zoom à fond, on perd en luminosité, rendant le
moindre mouvement flou, que ce soit le sien ou celui de l'animal. Je
suis allé me consoler au bout du ponton, vers la dernière case. Il
y avait plein de papillons et de libellules de toutes les couleurs
qui se posaient sur des brindilles émergeant de la flotte. Je m''en
suis donné à cœur joie. Il y avait une libellule avec des
fioritures, des espèces d'ailerettes sous ses ailes, rayées jaune
et noir comme une abeille. D'autres ont les ailes complètement
colorées et non transparentes, comme un picture disc ! Toutes
les fantaisies sont permises.
Quand j'ai rejoint les
autres pour le petit déjeuner, ils avaient tous terminé et s’en
allaient pour les ablutions matinales. Pour les toilettes, il y a une
chiotte mais sans eau. Quand on a fini son affaire, il faut verser un
seau d'eau pour l'évacuation qui va on ne sait où... Mieux vaut
avoir pensé à remplir le seau avant de rentrer, la réserve étant
dehors. Il faut la puiser dans une barrique alimentée par la
rivière. La couleur est peu engageante. C'est la même eau qui sert
pour la douche. Il n'y a aucune intimité, il faut se foutre à poil
dans la jungle avec le risque que quelqu'un passe. Pour l'eau, il
faut attendre un peu, après deux heures les particules en suspension
dans la barrique redescendent au fond, laissant une eau plus ou moins
limpide. Mieux vaut donc prévoir son coup à l'avance ! Et
penser à fermer la bouche en s'aspergeant au baquet si on ne veut
pas chopper des amibes ou autres délicieuses surprises.
A 10h30, nouvelle
sortie : jungle trekking. Cette fois le site ne se passe pas
autour du campement contrairement au trek de hier soir. Il faut
prendre la barque pour une courte croisière d'une quinzaine de
minutes en remontant la rivière, puis prendre un bras plus étroit
et bien plus joli. La végétation y est plus dense, les arbres
venant à pousser jusque dans l'eau. Il faisait une chaleur
écrasante, rendant chaque pas un exploit. Il ne faut pas espérer
rencontrer d'éléphants par ici, la dernière fois qu'ils en ont vus
ça remonte à un an et demi. Il faut se contenter d'insectes et
d'oiseaux. Pour ce qui est des crocodiles c'est pareil, il paraît
que le niveau de l'eau est trop élevé pour qu'on puisse les
apercevoir. Je ne vois pas trop le rapport. A un moment Rémy a cru
entendre le grognement d'un cochon sauvage. Branle bas de combat,
nous voilà à piétiner dans la boue et à suivre des directions
sans sentier, en passant entre des lianes et des branches qu'il faut
écarter tout le temps en prenant soin de ne pas s'égratigner la
tête au passage.
On pourra dire que j'ai fait le Vietnam ! La
balade m'aura valu un bel accroc à l'épaule de mon joli T-shirt
bleu, sans réussir à voir ledit cochon, de toute façon sans doute
identique à un vulgaire cochon de ferme, le pelage peut être plus
épais – il n'y a pas de mal. Je vais rentrer en charpie et à la
douane à Paris je suis sûr qu'ils ne vont pas me laisser passer et
examiner tous mes bagages.
A chaque repas c'est
l'invasion des mouches. Il y en a partout, ça en pleut comme des
cordes, dans les verres, les assiettes, sur la peau, rien ne les
arrête. Ou plutôt si : le DEET. Un spray anti-moustique
chimique et toxique mais le seul vraiment efficace. Après mes
expériences naturelles à Maupiti qui ne donnaient aucune résultat,
je suis passé aux choses sérieuses, d'autant plus que je ne prends
pas mes médicaments anti-malaria. D'ailleurs personne sur le camp
n'en prend. Ils en ont tous mais préfèrent faire attention, leur
prophylaxie étant à base d'une molécule qui rend fou. C'est
véridique. Pour mon traitement ce n'est pas tellement mieux, il est
photosensibilisant, ce qui est guère commode en pays tropical. Ils
auraient pu y réfléchir deux secondes avant de mettre cette
saloperie sur la marché, non ? Pour la nourriture, les mets
sont présentés sous des cloches moustiquaires en plastique.
Tout le
monde se demande d'où viennent ces mouches qu'on ne voit plus dès
que le soir approche. Ce n'est pas très étonnant, le camp dispose
de poubelles de recyclage fermées mais la poubelle à données
périssables est curieusement la seule à ne pas avoir de couvercle.
Il ne faut alors pas s'étonner de l'invasion.
L'après midi il n'y a
pas d'activité proposée. C'est l'heure où la faune roupille pour
économiser ses forces, la température étant trop élevée. Car il
fait très chaud dans la jungle. Il n'y a pas d'air, c'est comme si
l'on était sous serre. Il y a bien une activité optionnelle pour
ceux qui s'ennuient vraiment, à savoir une partie de pêche. Mais la
pêche ça n'a jamais été vraiment mon truc et la perspective de
rester sur une barcasse en plein cagnard n'a rien de bien
réjouissant. J'ai préféré opter pour le hamac en bordure de
rivière, à l'ombre, à écouter de la musique en chantant.
Et ça
m'a bien reposé, avant d'attaquer une douche à laquelle j'essaye
d'échapper depuis hier. Mais avec la température qu'il fait, je me
sens complètement poisseux et les cheveux comme un plat de nouilles
sur la tête. J'ai besoin de fraîcheur et il y a un moment où l'on
se baignerait dans n'importe quoi, comme les rhinocéros dans les
marres de boue. J'ai donc étrenné la toilette à poil au baquet
comme dans les temps antédiluviens !
A 17h00, comme il faut
bien divertir un peu la galerie, une sortie est organisée, à
nouveau sur la rivière et dans la même direction que pour le trek
dans la jungle de ce matin. En principe c'est l'heure des singes qui
viennent aussi batifoler près de l'eau avant d'aller se coucher. Ça
a commencé par les sempiternels macaques, hornbills et autres
martins pécheurs dont on ne fait plus trop attention dépassé le
stade de la première heure d'aventure sur la rivière.
Macaque |
Alors que je
pensais que ça allait encore être une sortie inutile question
faune, me contentant de contempler le spectacle de la rivière au
coucher du soleil – qui vaut largement le détour – des singes
proboscis sont apparus dans les arbres. Quelle chance ! Le singe
proboscis est endémique à Bornéo et ne se rencontre que là. Il
est affublé d'un appendice nasal impressionnant qui lui donne un air
un peu ballot. Son nez a l'air en mousse, il bouge comme du flanbi
chaque fois qu'il fait un mouvement. Ça doit le gêner ! Si
vous ne voyez pas à quoi ça ressemble, vous pouvez chercher dans
Google en tapant proboscis, vous verrez. Dans les premiers résultats
d'image il y a un photomontage avec le portrait de Depardieu. Ce
n'est pas flatteur pour lui mais assez ressemblant. Il est le chaînon
manquant entre le proboscis et l'homme ! Par contre notre
observation a été rapidement écourtée car le ciel est
soudainement devenu tout noir avec les éclairs qui flashaient tout
autour de nous.
Proboscis |
Nous étions encore préservés, miraculeusement, la
rivière formant un corridor qui trouait les nuages ; mais pour
combien de temps encore... Le capitaine a préféré rentrer par
sécurité, la pluie n'étant pas un problème mais la foudre si !
On est rentré au poncho, les éclairs zébrant le ciel comme ces
tempêtes que l'on voit en plein ciel dans les films. Je n'osais
penser au fait que nous étions seuls sur une pauvre embarcation de
bois au milieu d'une rivière cernée par la jungle et soumise à des
éléments en furie, comme un drapeau indiquant à la foudre où
frapper !
Avant le dîner c'est
l'heure où le camp s'anime. Le personnel entame une partie de foot
sur un terrain improvisé et moitié boueux, demandant aux gens de
les rejoigne. Ça y est, les 6 sont arrivés, nous demandant comment
c'est et s'il fait beau la journée. Car ils sont un peu inquiets
avec ce qui tombe.
Ça se gâte! |
On leur a passé sous silence le fait que question
bestioles ce n'est pas tant l'extase que cela. Ils se feront leur
propre opinion ! De plus je pense que ça dépend des jours, on
dira qu'on n'a juste pas eu trop de chance jusqu'à présent, à part
avec les proboscis ce soir. Je dois d'ailleurs aller les voir de plus
près dès demain, dans un sanctuaire qui leur est réservé. Ici
c'est un peu un aperçu avant d'avoir ensuite un zoom plus précis.
Après le foot, le personnel, au nombre de 13, prend deux guitares et
pousse la chansonnette à tue tête, faux et en frappant sur les
tables pour le rythme. On ne s'entend plus et j'ai carrément
décroché des conversations. Je suis à table le nez dans l'assiette
regardant la jungle autour de moi comme un autiste. Courage, c'est le
dernier soir ! Au passage, je ne sais pas pourquoi ils sont
autant, 13 ça fait un peu beaucoup pour huit convives, non ? La
moyenne d'âge doit en plus être inférieure à 20 ans. Peut être
qu'il sont plus heureux dans la jungle entre eux, ça leur fait comme
un camp de scouts...
A 21 heures, nouvelle
balade sur la rivière. Décidément je commence à la connaître.
Cette fois c'est pour découvrir des bestioles assoupies, moins
farouches. On a profité d'une accalmie pour prendre le large. On n'a
pas tardé à trouver des macaques assoupis qui dormaient le cul posé
dans une fourche, deux par deux, en se faisant face et se prenant
dans les bras. C'était trop mignon de les voir enlacés comme ça à
se tenir chaud. Ils ont la bonne méthode, ça les équilibre et
ainsi ils n'ont que le dos exposé à la pluie. J'ai bien aimé cette
sortie, mystérieuse, navigant sur une barque dans une nuit noire
transpercée par des éclairs aveuglants, la pluie sur nous, avançant
à la lumière d'une torche braquée par l'un des guides sur les
cimes des arbres à l’avant du navire. C'était l'aventure !
En dérivant, les scènes éclairées retournaient dans l'obscurité
et les singes redevenaient invisibles, parés pour passer une nuit
entière ainsi. Ils ont bien du mérite, ces petites choses à dormir
dans une jungle qui nous est inhospitalière sous les intempéries.
Plus loin on a croisé sous un bosquet un chat sauvage « leopard
cat », adorable avec se robe blanche aux petits ronds dorés.
Pour un peu je l'aurais embarqué à la maison !
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